Coordinateur Monique Jutrin
Du 13 au 19 août 2015
Participants : Aurélien Demars (F), Dominique Guedj (F), Alice Gonzi (I), Saralev Hollander (F), Eric de Lussy (F), Monique Jutrin (IL), Francine Kaufmann (IL), Jacques Kraemer (F), Aline Kraemer (F), Agnès Lhermitte (F), Carmen Oszi (IL), Margaret Teboul (F), Serge Nicolas (F), Elisabeth Stambor (IL, Heidi Trendelin (F).
Compte rendu
Il est des lieux où le temps s’arrête. Peyresq est de ceux-là. A la fin d’une semaine, nous avons la sensation d’y être restés une éternité.
Quinzième rencontre de Peyresq. Et pourtant la recherche véritable ne fait que commencer : avec Fondane, l’on n’arrive jamais et l’on repart toujours.
Ainsi, ce Mal des fantômes auquel nous avons consacré la première partie de notre séminaire. Nous avions tous l’impression de n’avoir jamais vraiment lu ce poème de 42-43, même si nous en connaissions des vers par coeur. Monique Jutrin et Agnès Lhermitte ont tenté d’établir quelques faits : genèse du texte, issu de la récriture d’Ulysse, état des manuscrits, variantes, structures lyriques. Quant à Francine Kaufmann et Elisabeth Stambor, elles ont révélé certaines matrices bibliques, en particulier dans l’Ecclésiaste et chez les Prophètes. C’est le thème du gilgoul qui a attiré l’attention de Saralev Hollander : il s’agit de la transmigration des âmes, telle qu’elle est présentée dans la kabbale d’Isaac Luria. Enfin, Eric de Lussy a présenté le cadre historique dans lequel s’inscrit cette poésie, en particulier les terribles pogroms de Bucarest et de Jassy en 1941. A cet effet, il a parcouru la presse française de 1941. Ces deux journées ne nous permirent pas d’épuiser le sujet. Car ce poème nous résiste, il nous harcèle : Qui, ILS ? Qui, NOUS ? Questionnement mis en évidence par Evelyne Namenwirth.
La seconde session fut centrée sur Fondane lecteur. Dans son exposé sur « Fondane lecteur et critique de Bachelard », Jean Dhombres nous livra ses réflexions sur cette métaphysique impensée que dissimule toute pensée scientifique. Et Alice Gonzi, prenant pour point de départ les réflexions de Chestov sur le mythe d’Anaximandre et la figure de Socrate, souligna cette secrète fêlure que Fondane discerna chez Platon dans Phèdre, Ion ou La République. C’est Le Puits de Maule qui a fasciné Serge Nicolas. Il nous en a proposé une lecture nouvelle, insérant la pièce dans le contexte des préoccupations de Fondane à l’époque et révélant son lien avec Le Mal des fantômes.
Margaret Teboul montra comment les conceptions de Fondane et de Jean Wahl sur la poésie peuvent se rejoindre, soulignant les convergences entre les deux penseurs. Aurélien Demars éclaira la figure d’Edouard Roditi, qui découvrit Ulysse en 1933 et lui voua une fidélité sous des formes diverses.
Lors de la session roumaine, Carmen Oszi scruta des articles écrits après la Grande Guerre (1919-1922), dévoilant l’amorce d’une pensée qui se développera au long des années 30. Une lecture attentive de trois brochures écrites par des pragmatistes roumains, auxquelles Fondane consacra un article en 1919, permit à Aurélien Demars de constater que Fondane y avait discerné la perversité d’une pensée nationaliste sous le couvert de la philosophie.
Le 15 août, Jacques Kraemer présenta son spectacle : Le Fantôme de Benjamin Fondane dans la petite église de Peyresq, dont les voûtes entendirent cette singulière prière :
Et le dieu existe-t-il, le Dieu
d’Isaïe, qui esuiera toute larme des yeux
et qui vaincra la mort –
Jacques Kraemer nous confia combien forte fut son émotion de faire entendre la voix de Fondane en ce lieu. Et si cette voix continue à nous empoigner, c’est qu’elle reste étonnamment actuelle et résonne de significations neuves. Ce mal dont souffrent les fantômes n’est-il pas aussi celui de l’homme désincarné dans un monde virtuel?
Peyresq, village niché dans la montagne entre d’énormes blocs de rochers et les forêts de mélèzes qui dévalent les pentes jusqu’au carrefour des deux rivières profondes, le Ray et la Vaïre. A notre arrivée sur la Place de l’église, les ruelles accueillantes conduisant aux maisons de pierres avec escaliers et balcons, petits jardins de fleurs, de feuilles et de fruits ; marchant vers les voix amicales, les paroles d’accueil et d’installation dans nos chambres respectives, sous le fin crépitement de la pluie et le bourdonnement des insectes dans le sureau.
L’apparition de ce haut-lieu, à 1528 mètres d’altitude : je savais un peu la beauté des Alpes de Haute-Provence, l’histoire du village reconstruit par des mécènes belges au début des années 1950 et la convivialité régnant parmi les amis érudits de la Société Benjamin Fondane. Scrutant l’étendue des monts bondissant au Sud jusqu’à la mer et grimpant au Nord vers le Mont Pelat par les sentiers des alpages, je m’éveille et m’émerveille !
Avec le souvenir ravivé d’un séjour à Soglio dans les Alpes suisses, l’élan irrésistible vers le silence des altitudes vibrantes de lumière ; l’appel entendu depuis l’enfance peut-être, comme serti dans cet écrin végétal et minéral au cœur de l’été caniculaire ; le désir de vivre, de voir et d’écouter en marchant dans l’air vif entre les herbes et les pierres, parmi les papillons et les sauterelles aux élytres oranges ; dans la présence de Benjamin Fondane et de sa voix surgie du fond des années sombres de la guerre, son appel lancé en un temps inhumain à la face du ciel et de la terre ; ses poèmes rythmés en chants et en visions relayés par les interprètes de son œuvre immense et multiple.
De notre randonnée de l’avant-dernier jour, la descente préfigurait déjà le retour vers les rumeurs de la ville, à Nice puis à Paris ; sur le sentier, dans le clair-obscur du sous-bois, des champignons aux chapeaux ronds et dorés encore tout frissonnants d’humidité venaient de sortir de terre. J’entends le vent qui balaye les nuages dans le ciel et le murmure de ces instants solaires. Ils préludent à la joie anticipée d’un retour. Les habitants de Peyresq, vacanciers et organisateurs, artistes et conférenciers m’ont offert une semaine inoubliable…
Heidi Traendlin, oct. 2015