Perché à 1.528 m d’altitude sur un éperon rocheux des Alpes de Haute-Provence, revit désormais le village de Peyresq, lieu unique et magique au destin exemplaire.
Fondé en 1232 par le Comte de Provence Raymond Béranger V pour constituer une place forte plus puissante que l’ancien castrum de La Colle Saint-Michel, le village fortifié de Perets devint en 1388, pour près de cinq siècles, poste frontière entre la Savoie et la France. La frontière, marquée par des bornes en pierre portant croix de Savoie et fleur de lys passait alors à Colmars, au lac de Lignin et à Entrevaux.
L’église de Peyresq, de style roman tardif, fut aussi construite au XIIIème siècle et confiée aux moines défricheurs bénédictins de Saint-Dalmas de Pedona qui vécurent à Peyresq jusqu’au XVIème siècle.
En 1481, lors du rattachement de la Provence au Royaume de France, Peyresq comptait 28 feux, soit environ 100 habitants.
En 1580, Marguerite de Bompar, Dame de Peiresc, épouse de Reinaud Fabri, donna le jour à Nicolas-Claude. Enfant précoce d’une vive intelligence, Nicolas-Claude subjugua dès 1600 tous les érudits européens qu’il rencontra au cours de ses voyages et avec qui il entretint une abondante correspondance jusqu’à sa mort en 1637.
Devenu seigneur de Peyresq en 1604, il fut l’un des plus grands humanistes européens du XVIIème siècle, connu sous le nom de Monsieur de Peiresc.
En 1713, Mathieu Bayol, Seigneur de Peyresq, légua ses biens à la communauté villageoise en contrepartie d’une pension annuelle, la seigneurie devenant ainsi un simple mode de propriété.
En 1860, par le Traité de Turin, le Comté de Nice fut rattaché définitivement à la France et Peyresq cessa de jouer la sentinelle de la Provence.
A cette époque, Peyresq atteint son apogée avec 251 habitants avant de connaître un déclin rapide. Les guerres et l’exode rural vers une Côte d’Azur en développement vidèrent inexorablement les villages des hautes vallées où depuis tant de siècles des familles résignées avaient perpétué une civilisation agropastorale solidaire.
Les terrasses qui s’estompent autour du village constituent un ethnopaysage représentatif des conditions de vie de la collectivité peyrescane au cours des siècles antérieurs.
Ce matin-là, le petit Jean n’avait pas pu aller bien loin avec le troupeau du père : le sentier par lequel il menait d’habitude les moutons au pâturage de Peyresq, était complètement obstrué par des éboulis de pierres. Quel paysage de désolation! Depuis deux jours, il a plu si fort que les torrents ont grossi, grossi au point d’emporter le sentier muletier. Quand le calme est revenu, le petit Jean s’est avancé jusqu’à Saint-Restitut, à la sortie du village, et il a vu le vallon de la Grau tout empierré. Il a marché un peu dans les éboulis, prenant pour repères quelques églantiers isolés ou une grosse touffe de lavande. Las de ce triste décor, tout en étant fasciné par son caractère insolite, l’enfant s’est assis un instant, avant de retourner au village, et son regard s’est posé sur une belle pierre plate, ovale, blanche, qui se distinguait de ces marnes grises. Il la ramassa, la fit glisser d’une main dans l’autre, sentant du bout des doigts sa courbe et le poli de sa surface, goûtant sa fraîcheur lisse à pleines paumes, et la mit dans sa poche. Puis il a couru vers la maison, où le père sortait déjà les brebis, avec la joie d’avoir trouvé un trésor. Il n’a eu que le temps d’attraper sa musette pendue au gros clou de la cuisine, avant de mener les bêtes au-dessus du grand mur de pierres sèches qui semble dire à la montagne: « halte! ici commence le village de Peyresq ».
Dès que les moutons se sont mis à brouter paisiblement, petit Jean s’est assis à l’ombre d’un grand rocher et, laissant les pommes de terre bouillies et l’omelette aux épinards sauvages dans le fond de sa musette pour son repas, il en sortit un livre que lui a prêté Monsieur le Curé, que l’on appelait le prieur à Peyresq. Il l’ouvrit en se délectant à l’avance du plaisir qu’il allait sans nul doute retirer de la lecture. Petit Jean n’allait pas tous les jours à l’école : à dix ans, on est déjà un homme, assez grand pour se rendre utile.
D’ailleurs, cette année-là, l’instituteur était vraiment désolé de n’avoir que 4 ou 5 élèves à l’école, régulièrement, alors qu’il y avait une bonne vingtaine de jeunes en âge scolaire.
Il est vrai que les préoccupations culturelles n’étaient pas des plus importantes dans ce petit village du département des Basses-Alpes où les hommes luttaient quotidiennement, avec de faibles moyens, contre des problèmes qui prenaient parfois des proportions écrasantes : l’isolement, la sécheresse, les violents orages, les maladies et surtout les impôts …
On peut comprendre la réaction hostile et unanime du Conseil Municipal et du Maire à la demande du Sous-Préfet, en cette même année 1865, de constituer une bibliothèque à Peyresq ; de tels frais ne serviraient à rien, si les Peyrescans veulent lire, Monsieur le Curé possède plus de 150 volumes et les tient à leur disposition.
Petit Jean aurait bien aimé aller plus souvent à l’école, mais il acceptait sans trop de peine son travail de gardien du troupeau de son père, en s’estimant privilégié par rapport à sa soeur Sophie, qui, elle, n’avait même pas le loisir de lire un livre, car les tâches ménagères qu’on lui confiait ne lui en laissaient pas le temps. Elle n’avait qu’un an de plus que Jean, mais elle devait aider sa mère dans toutes les corvées domestiques. Elle pétrissait même le pain et, quand elle était libérée de son travail quotidien, elle s’occupait des enfants plus jeunes qu’elle.
Petit Jean, donc, était bien content de pouvoir lire un peu, en gardant les bêtes. Il ouvrit le livre de Monsieur le Curé et son regard fut aussitôt attiré par une ligne écrite, sur la première page, dans des caractères qu’il ne connaissait pas. Cette phrase, dont l’auteur était Sophocle, le fascinait au point d’en oublier de commencer à lire le livre. Les lettres ressemblaient à des dessins et il avait l’impression de percevoir une sorte de musique dans cette calligraphie. Il décida de la faire sienne et, sortant sa pierre plate et blanche de la poche, entreprit de l’y graver aussitôt :
Cela lui prit bien des jours, mais après un long et patient travail de précision et de minutie, il put admirer la phrase entière gravée dans cette belle pierre. Il fit ressortir les caractères avec de la mie : il lui sembla alors qu’il avait investi sa pierre d’un pouvoir magique ! Il était loin d’imaginer la portée que cette inscription aurait un jour lointain dans le devenir de son village…
Voici l’automne, pour les enfants et Jean, c’est la rentrée des classes : on les voit se regrouper sur la place du village, qui est aussi leur cour de récréation, comparant jalousement les petits trésors qu’ils apportaient au maître, passionné de fossiles. Tout l’été, en gardant les bêtes ou en jouant dans les rochers, les enfants ont recherché et collectionné ces jolies pierres aux empreintes de coquillages et de poissons, dont le maître leur racontera l’histoire merveilleuse.
Pendant la leçon de géographie, l’instituteur apprenait à ses écoliers peyrescans que leur village est situé à 1.528 m à l’interfluve des vallées de la Vaïre et du Verdon, sur un site défensif remarquable, au bord d’une falaise rocheuse, à la limite des terres cultivables et des alpages.
Véritable nid d’aigle isolé du monde, le village d’abord appelé PEIRETS, transformé en PEIRESC, puis francisé en PEYRESQ, porte bien son nom : « le pierreux ». Ses habitants se trouvent en présence de fortes pentes qu’ils doivent aménager pour les cultiver, et d’un climat sec et salubre de montagne méditerranéenne, aux averses violentes qui peuvent emporter le maigre sol. Le village de Peyresq vit en complète autarcie.
Les hommes ont installé leur village à l’adret, sur le versant ensoleillé, à la limite de l’étage collinéen cultivable et de l’étage subalpin et alpin servant de pâturages et de forêt. Abrités au pied de falaises calcaires, ces montagnards tenaient un site de défense imprenable. C’est probablement le caractère défensif du lieu qui a déterminé la fondation du village, au début du XIIIe siècle, par le Comte de Provence Raymond Béranger V. Ce dernier n’a pas songé au manque d’eau qui allait être un problème crucial tout au long de l’histoire de Peyresq.
Et le grand rêve du pompage de l’eau de la source du Ray ne pourra être réalisé qu’aux environs de 1956 ! Alors seulement, l’eau arrivera dans les maisons. Auparavant, elle était considérée comme un bien précieux.
L’isolement du village, à cause de la neige, était fréquent de la Toussaint à Pâques, aussi plusieurs jeunes gens quittaient leurs foyers pour aller gagner pendant la saison froide quelque argent en Basse-Provence. Les petits écoliers enviaient ces « grands » qui allaient découvrir d’autres « pays » : ils accompagnaient ces émigrants « Saisonniers », qui partaient en groupes, par la chapelle St-Barthélemy, puis les regardaient s’éloigner dans la vallée avec une pointe de nostalgie. Ces jeunes gens partaient à pied par l’ancien chemin royal allant à Méailles et, de là, vers les chefs-lieux des vallées, puis vers les plaines, qu’ils n’atteindraient qu’après bien des jours de marche! Le sentier muletier qu’ils empruntaient en partant de Peyresq était la voie la plus importante reliant le village au reste du monde, une voie d’échange économique essentielle, malgré sa petitesse.
D’autres jeunes gens quitteront définitivement leur village, attirés par les petits emplois de fonctionnaires dans l’enseignement, la poste ou la gendarmerie. Tous ceux qui se destinaient à un métier de fonctionnaire ne pouvaient pas l’exercer à Peyresq qui payait déjà cinq fonctionnaires communaux, en cette année 1865 : le secrétaire de mairie (140F.), le tambour afficheur (50F.), le garde-champêtre (225F.), l’accoucheuse (50F.) et le fossoyeur (50F.). Ceux qui partaient fuyaient la pauvreté qui sévissait à Peyresq où, selon une délibération du Conseil Municipal, en cette deuxième moitié du XIXe siècle, « les habitants de Peyresq, sont dans une position assez précaire. Pour s’en convaincre, on n’a besoin que de voir leurs habitations qui ne sont qu’un amas de ruines et qui ne prouvent pas l’aisance. Ils n’ont pas d’eau pour boire, ou du moins, pas facilement… »
Pendant la récréation, tandis que les plus petits inventaient des jeux de fortune, couraient, sautaient en faisant des esquives, les plus âgés, dont Jean, discutaient de ces « grands » qui venaient d’émigrer, en imaginant les aventures fabuleuses pouvant leur arriver.
Pendant que ceux-ci voyagent, ceux-là auront à se préparer pour passer l’hiver au village. Ce soir, à la sortie de l’école, ils iront aider leurs parents à cueillir les pommes qu’on fera mûrir dans la paille ou qui seront conservées sur la commode de la chambre.
Avec le père, Jean ira, ce dimanche, ramasser les champignons au pied du Courradour : des rosés des prés qui poussent en ronds et des sanguins dans les futaies. La mère en fera cuire une partie en fricassée ou en omelette et fera sécher les autres pour l’hiver.
Les habitants de Peyresq rassemblaient le bois mort, qui servait au chauffage, car aucune coupe ne leur était attribuée : chauffage des maisons, du four à pain et du four à chaux ; dans ce dernier, creusé à Saint-Restitut, on entretenait le feu pendant huit jours pour cuire les pierres calcaires et les transformer en chaux.
La foire d’Annot était la dernière de l’année à laquelle les Peyrescans pouvaient assister; la neige blanchissait déjà les sommets alentour, et il était temps de faire les derniers achats pour passer la longue saison hivernale: du sel, de l’huile, du vin, sans oublier des châtaignes pour les veillées. Les Peyrescans s’y rendaient aussi pour y vendre leurs petits surplus : des oeufs, des fromages, du miel, une vache, un âne ou un mulet… et se procurer ainsi un peu d’argent frais. La foire, c’était aussi l’endroit où l’on allait rencontrer les montagnards des villages voisins, revoir des parents ou… discuter d’un futur mariage. L’expédition au chef-lieu d’Annot durait toute une journée et, en cette saison, bien que partis de très bon matin, les Peyrescans revenaient à la nuit tombée.
Pendant la première veillée qui suivit le départ de quelques bergers et de leurs troupeaux, on pria saint Barthélemy afin qu’il les protège.
A cette veillée on parla aussi des prix du vin et de l’huile qui avaient bien augmenté! On se souvenait d’ailleurs qu’au siècle dernier (au XVIIIe), les Peyrescans avaient été obligés, pour honorer les dettes de la communauté, de payer un impôt sur l’huile et le vin entrant dans leur village : la vigne et l’olivier ne poussant pas à cette altitude.
Au cours de la veillée, les hommes commentaient leurs tableaux de chasse respectifs. Le père de Jean était un spécialiste pour attraper les grives avec un piège. Au cœur de l’hiver, il attraperait avec ce même piège des hermines, attirées avec un peu de miel. Félix, l’oncle de petit Jean attrapait les lièvres au lacet, parfois des renards et même des sangliers ! Mais, pour ces mastodontes, il fallait préparer des pièges avec des câbles métalliques, que Félix achetait à la foire. Pour la chasse aux perdrix et aux chamois, Firmin préparait lui-même la poudre, avec du sucre et du salpêtre. Pascal, lui, racontait sa dernière chasse au blaireau, qu’il appréciait tant lorsque sa femme le préparait en daube. Petit Jean ne se lassait pas d’écouter les péripéties des chasseurs. Quant à Ferdinand qui avait rapporté le plus beau couple de lièvres de la saison, il n’était pas peu fier : sa mère, Céline faisait déjà sentir à toute l’assemblée l’odeur savoureuse du civet qu’elle allait en faire ; elle donnait sa recette dans le menu détail, mais ajoutait à la fin : « ce qui compte, dans le fond, c’est le coup de main ! ».
Petit Jean rêvait du jour où son père lui transmettrait, selon la tradition, son fusil et sa gibecière. Ce fusil qui servait parfois à tirer des loups qui rôdaient trop près du village, lorsque la rigueur de l’hiver les affamait. Pour lutter contre les loups, les hommes posaient des pièges autour du village et les chiens des bergers avaient leur cou protégé par un collier spécial, hérissé de longues pointes.
La première grosse chute de neige eut lieu en ce jour de décembre où l’on tuait le cochon à Peyresq. Quand Jean descendit à la cuisine, à l’aube, il vit sa mère en pleins préparatifs : elle coupait les oignons dans le grand chaudron noir qui, tous les ans, servait à faire le boudin. Le père était déjà à la porcherie, avec les voisins venus l’aider à tuer et dépecer la bête. La mère de Jean donnerait du boudin à tout le monde et les autres familles, lorsqu’elles tueraient à leur tour leur cochon, offriraient également du boudin aux autres. Et ainsi, dans tout Peyresq, on allait manger du boudin midi et soir pendant un mois ! Rien n’était perdu: tout était conservé, sauf les sabots. Outre les saucisses de ménage et le fromage de tête, assaisonné de persil, on mettait le lard et l’épaule à saler, et les caillettes dans le saindoux. Parfois, on salait aussi un jambon, mais, bien plus souvent on le vendait ensuite. Avec le cou, le morceau le plus gras, la mère préparait une grosse fricassée aux pommes de terre et aux oignons, qui serait mangée le jour-même par tous les participants à ces « cochonnailles » annuelles. Le soir, on se servirait de l’eau du boudin pour faire la soupe.
Jean sortit de la maison, les narines pleines du fumet de la fricassée : déjà, le paysage de la rue était transformé par une épaisse couche de neige, sur laquelle l’enfant distinguait quelques gouttes de sang du cochon abattu, que de gros flocons recouvraient peu à peu. Le ciel était très bas sur le village, sombre comme un couvercle de marmite. « Pourvu que ça se lève pour la nuit de Noël et qu’on ait des étoiles ! » lui chuchota sa soeur Sophie, les yeux au ciel, qui courait chercher de l’eau en s’enfonçant dans la neige fraîche.
Noël arriva quelques jours plus tard et les enfants peyrescans étaient heureux de découvrir dans leurs souliers une petite friandise au miel que les mères avaient préparée pour cette occasion. Pas d’arbre de Noël, ni de crèche dans les maisons, mais, en assistant à la Messe de Minuit, les Peyrescans purent admirer la jolie crèche réalisée par Monsieur le Curé, avec d’énormes santons achetés par le conseil de fabrique. Quelques pierres de toutes tailles, des branches de buis et un peu de mousse constituent le paysage autour de la petite étable en bois, vers laquelle s’acheminent les bergers et leurs moutons, le meunier et la lavandière, le tambourinaire et la fileuse, l’aveugle et le boiteux, pour venir saluer l’enfant Jésus et ses parents. Quelques chandelles éclairaient la crèche et les enfants n’avaient d’yeux que pour elle ! Sophie fut contente : d’innombrables étoiles, luisantes comme des braises, célébraient la nuit de Noël dans le ciel de Peyresq.
L’année commença pour le village assoupi sous un épais manteau de neige. La pauvreté est cruelle par temps
froid : alors, le Conseil Municipal vota un budget de 540 francs pour les nécessiteux et une somme de 300 francs pour l’enlèvement des neiges et des éboulis. On en parlait beaucoup, de cette neige si abondante, à la « chambrette » ou « cercle », où les hommes se réunissaient l’hiver, pour boire un vin chaud, près du feu. Ils y jouaient à la manille, tout en discutant. C’était l’occasion d’oublier un peu la dureté de la vie. Cependant, les soucis réapparaissaient au cours des conversations. On se souvenait de l’hiver précédent où le Conseil Municipal avait permis aux plus pauvres de la commune de gagner quelque argent, en leur faisant enlever la roche qui se trouvait entre l’église et la place publique : cette roche obstruait l’escalier de l’église, dépréciant celle-ci, et son enlèvement allait donner un élargissement à la place. Lorsque ce travail fut accompli, le Conseil avait décidé de faire placer à l’endroit, bien ensoleillé, où le rocher avait été supprimé, des banquettes en pierre, pour orner la place et permettre aux Peyrescans de s’asseoir au soleil d’hiver. Une somme de 340 francs avait été votée pour tous ces travaux et toute la communauté s’en trouva satisfaite. La neige fondait peu à peu : Pâques approchait. L’odeur de crottin de chèvres et de moutons, restés enfermés pendant ces longs mois, imprégnait les rues étroites du village et, dès le premier radoucissement du temps, les mouches envahissaient les maison de pierres, dont les joints de sable et de chaux s’effritaient après les gels de l’hiver. Les hommes commençaient à monter sur les toits déneigés pour vérifier l’état des planches de mélèze (ou bardeaux), disposées en écailles. Les plus anciennes maisons du village, situées en bordure de la falaise, auraient bien besoin d’être réparées : la récolte de l’année le permettrait peut-être? Sous l’étage d’habitation, on entendait le bétail marquer son impatience à quitter cette cave voûtée et obscure. Sous le toit, la grange se vidait petit à petit des provisions d’hiver.
La population culminait en ce milieu du XIXe siècle; le village ne comptait pas moins de 60 feux (251 habitants), juste avant un déclin inexorable. Depuis sa fondation, vers 1230, Peyresq a toujours été habité.
L’église de Peyresq a été bâtie dans la première moitié du XIIIe siècle, au moment où la paroisse fut donnée aux moines bénédictins de saint Dalmas de Pédona, en Italie. Ces moines semblent être restés à Peyresq jusqu’au XVe siècle.
Les limites des seigneuries en Provence correspondent à celle du terroir du village. Le village est la cellule de base de la seigneurie et la communauté villageoise a toujours possédé le droit de délibérer en assemblée générale des chefs de famille sur les questions d’intérêt communal.
En 1388, sous l’autorité de Décane Rostaing, Dame de Peiresc, un événement important survient dans l’histoire de Provence : Peiresc devient une seigneurie frontière, frontière entre la Savoie et la France. Des bornes de pierre sur lesquelles étaient gravées d’un côté la croix de Savoie et de l’autre la fleur de lis, signalaient la frontière. On peut encore en voir une au col des Champs.
Peiresc, comme de nombreuses seigneuries, appartenait à des coseigneurs. Ainsi, en 1534, Antoine Guiran, marié à Marthe de Bompar, était seigneur de Peiresc. Au XVIe siècle, un autre seigneur de Peiresc, petit-fils de Pierrette Guiran, Jean-Gaspard Bompar a transmis son héritage à sa fille Marguerite Bompar, mariée à Reinaud Fabri. Ce couple eut deux fils, l’aîné, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc fut l’un des plus grands humanistes français. Conseiller du roi au Parlement de Provence, abbé de Guitres, il était communément nommé et entendu dans toute l’Europe pour ses connaissances universelles, sous le nom de « Seigneur de Peiresc » …
Il fut tout à la fois, en une vie de cinquante-sept ans à peine, juriste et magistrat, humaniste et philosophe, épistolier et poète, botaniste et astronome, numismate et bibliophile, collectionneur et voyageur, et l’ami des plus grands esprits de son temps. La somme de connaissances dont il s’enrichit, et qu’il sut si bien transmettre en une correspondance devenue célèbre, force aujourd’hui encore, au temps des ordinateurs et des vols supersoniques, l’admiration. Nicolas-Claude Fabri, était devenu Seigneur de Peiresc en 1604, quand son père lui fit don du petit terroir de ce nom en Haute-Provence. Il se révèle, tout jeune, épris de science.
La peste et la guerre civile l’obligeront à fuir de collège en collège : Brignoles, Saint-Maximin, Avignon et Tournon, où les jésuites lui enseignent la philosophie. Il se passionne aussi bien pour les poètes que pour les sciences exactes, et dévore les livres. Il poursuivra ses études à Padoue, vivra trois ans en Italie, avant de revenir en Provence en 1602 et préparer à l’Université de Montpellier son doctorat. Il soutint ses thèses le 18 janvier 1604. Il héritera, en juin 1607 à 26 ans, de la charge de Conseiller au Parlement de Provence que son oncle lui transmet. Peiresc enthousiasmera Guillaume du Vair, le premier président au Parlement d’Aix. Lequel l’emmènera à Paris, et l’introduira dans un milieu passionnant où brillent lettrés et savants. De Paris, Peiresc gagnera Londres, puis la Hollande, la Belgique, avant de rentrer à Aix-en-Provence.
Peiresc prit grand soin de sa Seigneurie, dont il fit connaître le nom dans l’Europe entière de la science et des arts. Et il s’intéressa avec attention au village de Peyresq où, vu les difficultés du voyage et sa santé délicate, il ne vint pas en personne, mais confia à son frère, Valavez, l’étude des courants froids sortant de la grotte du Grand Coyer, au-dessus du village de Peyresq. Célibataire, peu friand de frivolités, il consacra toute sa vie à la découverte des richesses de l’esprit, de l’art et de la nature dans une ouverture de pensée que certains n’ont pas encore acquis aujourd’hui. Rien de ce qui est humain ne lui fut étranger.
Un an avant sa mort, il écrivait : » Je tâche de ne rien négliger jusques à tant que l’expérience nous ouvre la voie à la pure vérité ». Il eut, à certains égards, des vues dont on pourrait penser qu’elles ne sont qu’actuelles: il était hostile à la peine de mort ; il déplorait le déboisement des forêts, s’irritant de voir brûler les arbrisseaux jusqu’aux racines.
Le printemps est bien là et, avec lui, toutes les activités extérieures peuvent reprendre vie au village de Peyresq. Chacun remplit son rôle, en ces premiers beaux jours de 1913 : rôles immuables depuis tant et tant d’années ! Les hommes ont pour mission de rebâtir les murettes en pierres sèches qui retiennent les « faisso » (terrasses de terre) et qui se sont plus ou moins écroulées sous le poids de la neige. Ces « faisso » sont souvent des parcelles minuscules, découpées dans les versants de la montagne, épousant les courbes de niveau : sur ces bandes de terre, on sèmera du blé et du seigle sur les plus grandes et on transformera les plus petites en jardins.
Quand les hommes ont fini de rebâtir les murettes, ils appellent les habitants pour les aider à remonter la terre du bas du champ vers le haut, dans des hottes ou des paniers. Les femmes, elles sont occupées par d’autres tâches, tout aussi pénibles. Certaines sont en train de laver le linge de l’hiver, dans l’eau glacée de la fonte des neiges.
Elles s’interrompent régulièrement pour battre des mains et tenter d’atténuer la morsure du froid. Elles songent à l’été où elles pourront aller faire la lessive près de la source du Ray: certes, il leur faudra marcher dans des pentes raides avec leurs grands paniers pleins de linge et de draps, mais, là au moins, elles ne souffriront plus du froid; elles emporteront chacune quelques morceaux de pain et un peu de fromage, quelques olives.
A la première foire du mois de mai, les Peyrescans descendent maintenant à Annot avec leur char à banc, ils peuvent ainsi y aller en cinq heures, par le nouveau chemin routier, qui a été empierré en 1905. Que de discussions au sujet de l’aménagement de cet ancien sentier muletier, travaux qui allaient coûter 1800 F à la commune! Pourtant, dès que le nouveau chemin vicinal fut ouvert, la famille, qui s’était le plus vivement opposée à cette dépense jugée inutile, fut la première à acheter un char à banc. Il est vrai que malgré cet aménagement, on restait bloqué à Peyresq pendant de longs mois d’hiver, car le déneigement se faisait aux frais de la commune.
A cette foire de mai, on ira acheter le cochonnet à engraisser, qu’on ramènera sur le char à banc. L’animal sera bien nourri jusqu’à la mi-décembre avec de la bouillie d’orties, du petit lait, des pommes de terre, des épinards sauvages qu’on cuit dans une grosse marmite sur le poêle – cette marmite à fond plus étroit s’encastre dans le poêle quand on enlève un ou deux ronds. Et puis les femmes vont acheter quelques bouts d’étoffes pour être belles les jours de fête. Certaines, cependant, à cause de leur pauvreté ou encore de l’avarice de leurs maris, n’iront pas faire leurs achats d’étoffes à la foire : le colporteur de St-André les leur apportera à l’auberge de Peyresq et, en cachette, elles iront par une petite ruelle étroite échanger quelques poignées de grains contre un bout de tissu et quelques articles de mercerie. D’ailleurs, la première grande fête, c’est pour très bientôt et, au retour d’Annot, on entend les jeunes Peyrescanes fredonner quelques jolies chansons, se réjouissant d’avance pour le grand pélerinage de Notre-Dame de la Fleur.
Ce lundi de Pentecôte, les habitants de Peyresq, 1 ou 2 membres par famille, descendent à pied par le sentier de la Colle à la chapelle de la Fleur, où ils attendront à la gare la longue procession venant de Thorame-Haute. Chacun a mis son plus bel habit pour aller vénérer une statue de la Vierge, telle qu’elle serait apparue à de jeunes bergers, une rose à la main. De toutes les vallées alentour, les montagnards affluent pour accompagner la Vierge dans sa chapelle estivale de la Fleur, où elle restera jusqu’à l’automne ; à ce moment-là, elle regagnera l’église paroissiale de Thorame-Haute. Après la procession chantée, les pèlerins s’égaient dans les champs où ils mangent le bon pique-nique apporté dans un panier. Des marchands ambulants, s’installent autour de la chapelle et, parfois, on se laisse tenter par quelque objet de première nécessité. Le soir, en bandes, les Peyrescans remontent vers leur village, contents d’avoir gagné un peu leur salut.
Bientôt, on va célébrer l’arrivée de l’été, en allumant le grand feu de la St-Jean. Certes, on économisera le bois, mais la flamme s’élèvera assez haut pour que les bergers transhumants en voient, de loin, la clarté !
Voici les premiers troupeaux transhumants, en ce lendemain de la Saint-Jean : ils resteront dans les pâturages jusqu’à la Saint-Michel. Mais avant de faire la dernière étape qui les conduit à la cabane de l’estive, les troupeaux et leurs bergers passent une nuit à Peyresq, sur la place même du village. Au petit matin, lorsque les bêtes ont fini de s’égrener, par les ruelles, vers les collines, les femmes sortent de leurs maisons, divisent la place et ramassent, avec la pelle et le balai, le précieux fumier pour le jardin. Malheur à celle qui oserait dépasser les limites imposées !
Au moment de la transhumance, le village semble renaître, avec le retour des Peyrescans qui ont passé l’hiver au loin et avec l’arrivée des bergers de Basse-Provence, qui ont loué des montagnes pour leurs troupeaux.
En ce dimanche de juillet, Jean garde son troupeau au-dessus de la Grau. Au fond de sa poche de veste, il tâte le galet ovale qu’il avait ramassé dans ces quartiers, il y a presque cinquante ans. Personne, à ce jour, n’a su lui traduire la phrase qu’il y avait si soigneusement gravée. Il regarde passer une bande de jeunes gens du village qui vont à la fête de la Sainte-Elisabeth, à La Colle ; à la fin du mois, ils iront fêter saint Jacques à Méailles : il faut bien profiter de la belle saison pour aller rencontrer les autres. Ce matin, Jean a vu Joseph et Gaspard qui partaient à la pêche à la truite dans le Ray, tandis que Catherine et Jean-Baptiste grimpaient, de l’autre côté, sur le sentier du Courradour, tirant le mulet bâté: ils vont sans doute voir le père qui garde à la Cabane-Vieille et lui apporter quelques provisions de nourriture et de tabac.
En cet été 1913, la fête du 15 août est à nouveau appelée « Nostro-Damo » en l’honneur de la Vierge Marie. Les jeunes du village ont garni la place : arbres et guirlandes de buis donnent un air de fête à Peyresq.
Le matin du 15 août, tout est fin prêt : la viole est installée sur la place, devant la mairie et les Peyrescans ont revêtu leurs habits du dimanche pour accueillir les parents et amis venus des villages voisins. Le curé a mis la magnifique chasuble brodée de fils d’or. Dans l’église, qui s’avère petite pour contenir à la fois les habitants et leurs invités, chacun s’asseoit à la place qui lui est communément réservée et qui était payée 1 franc l’an : les femmes dans la nef et les hommes autour du chœur et dans la tribune du fond de l’église. Après la grand-messe, les fidèles s’égayent dans le village au son des cloches et l’on va prendre le repas de fête en famille : on mange de la tête de veau et, au dessert, la traditionnelle « crème » (îles flottantes). Vers trois heures de l’après-midi, on se retrouve encore dans l’église pour les vêpres. A la fin des vêpres, la communauté part en procession jusqu’à l’oratoire de Saint-Restitut : en tête, l’enfant de chœur porte la lourde et antique croix ; derrière, une jeune fille tient bien droite la bannière de la Vierge; ensuite, viennent les hommes qui portent sur leurs épaules saint Pons et Notre-Dame des sept douleurs, tenant les quatre montants du dais qui abrite les statues : honneur suprême pour ces hommes qui remplissent leur mission avec dignité.
Enfin, derrière les statues, arrive l’abbé, la belle chape brodée sur les épaules et tenant l’ostensoir, et, toute la foule des montagnards qui avance lentement. On monte sur le plateau de Saint-Restitut, le curé va vers la croix et, de là, bénit la montagne et les fidèles, avant que tout le monde ne reparte vers le village en chantant. Là, l’aubade au Maire est le départ des divertissements : au centre de la place, le mât de cocagne fait la joie des jeunes gens ; entre deux maisons, les uns essayent de renverser une grosse marmite, remplie d’eau, qui se balance grâce à une corde tendue ; d’autres prennent part à la course, dont le départ est donné à la Calade, l’arrivée se situe en haut du champ de Saint-Restitut; puis, il y a la traditionnelle course, les jambes dans un sac, et les trois sauts à Saint-Restitut. Dans le vallon du Grau, il y a le concours de tir au fusil de chasse, sur un grand rond dessiné sur un panneau, qui est posé sur un rocher. Le soir arrive et, sur la place du village, le grand bal commence au son de la viole et à la lumière des lanternes. Tard dans la nuit, les couples de danseurs virevoltent sous les étoiles de Peyresq. Pour Marie et Jean-Baptiste le fils de Jean, jeunes mariés du début de l’été, cette fête est un joyeux prolongement de leurs noces. Elle va durer pendant deux jours encore et il y aura le concours de boules, le concours de chant et le tirage de la grande tombola.
Après la fête, les invités repartent par les chemins vers leurs villages respectifs, prévoyant déjà de se retrouver, avec les Peyrescans, à la fête de Saint-Julien à Thorame, à la fin de ce mois d’août. En attendant, dans chaque village, on se plonge dans l’activité intense des moissons et l’on voit les montagnards travailler dans leurs minuscules parcelles de culture, à la pente des montagnes. Au rythme des faucilles, les meules se dressent sur l’aire du Cros.
Quand le blé sera vanné, on portera le grain au moulin d’Annot, en se rendant à la foire.
Depuis le gros orage de 1868, la meule du moulin de Peyresq n’est plus en état de fonctionner, et le dernier meunier, Elzéard Mayen, ruiné, a quitté le village : sa famille est désormais fixée à Arles et son fils Jean-Baptiste y est devenu instituteur, puis inspecteur de l’enseignement primaire.
Pendant la belle saison, on s’approvisionne de plantes médicinales en prévision de l’hiver, alors que le médecin se trouve souvent dans l’impossibilité de monter à Peyresq, à cause de la route bloquée par la neige. Les Peyrescans ont leurs propres remèdes : au printemps, c’est la cueillette des violettes, dont la tisane soignera les rhumes. En juillet, on fait sécher les fleurs de sureau, pour soigner les yeux. En ces chaudes journées de l’été, on cueille la gentiane, qui servira de purgatif. Enfin, la préparation d’un apéritif, le génépi, qui pousse dans les barres du Coyer et qu’on utilisera pour les maux d’estomac. Pour compléter cette pharmacie populaire, les Peyrescans achèteront à Annot des cataplasmes de farine de lin. Et puis, on immerge des scorpions vivants dans des flacons d’huile pour se guérir des morsures de scorpions, qui sont nombreux à Peyresq. Pour se prévenir des morsures de vipères, un seul remède : porter des chaussures hautes, et marcher avec un bâton à la main pour effrayer celles-ci en faisant du bruit. La lutte contre la maladie prend parfois des aspects étonnants! Lorsque celle-ci débouche, malgré tout, sur la mort, on songe à la santé de l’âme et des messes sont dites à cet effet. Ainsi, en ce jour de la Saint-Barthélémy, le 24 août, les Peyrescans empruntent le chemin royal de Méailles, pour aller assister à la messe dite traditionnellement dans la chapelle St-Barthélemy en cette fin d’été. Celle-ci a été construite il y a plus de deux siècles, en 1677, dans ce quartier de Serre sur la terre de Mathieu Bertrandy. En remontant, après la messe, vers le village, qui se découpe, tout là-haut, sur le ciel bleu sombre balayé d’un vent vif, les Peyrescans songent au bois qu’il va falloir rassembler pour l’hiver : déjà l’air est plus frais et, bientôt, il faudra allumer une petite flambée le soir. Oh! juste une petite flambée, pour économiser le bois précieux! A Peyresq, il n’y en a guère, et il en faut déjà tant pour le four à chaux et pour le four à pain communal. Le mélèze, avec ses qualités de dureté exceptionnelle à cause de sa lenteur de développement surtout à l’ubac de la montagne, décourageant ainsi les insectes xylophages, et le noyer sont réservés pour les bois d’œuvre: gouttières, bardeaux, portes, volets, fenêtres, balcons, mangeoires et barrières. Le buis sert à fabriquer les bâtons de bergers et les clavettes qui ferment le collier des sonnailles, taillé, quant à lui dans le bois de cytise. Pour allumer le feu dans le poêle, on se sert de genêts séchés et des branchettes mortes de mélèze, appelées « pétarello » parce qu’elles crépitent. A la fin de sa journée de travail, le montagnard rapporte toujours un fagot de bois au village, s’il n’est pas déjà encombré d’outils. Du bois, rien ne se perd : la cendre sert à faire la lessive et à conserver les œufs. Le bois est un matériau précieux dans cette région de pierres et l’on se souvient encore à Peyresq du temps où il fallait disputer au Roi de France, qui venait se servir dans ces montagnes pour la construction de bateaux, le peu de bois que pouvaient donner les maigres forêts de la commune.
Quand les bûcherons et les scieurs de long reviennent de la forêt, les femmes leur servent une daube longuement mijotée, pour les réconforter : elles ont acheté un peu de boeuf à la foire d’Annot, après avoir vendu une partie de leur récolte de miel.
Depuis deux ans, on peut se rendre à Annot en chemin de fer : la halte de Peyresq est au fin fond de la vallée de la Vaïre, à une heure et demi de marche du village, à partir de là, le voyage est plus rapide qu’autrefois, non seulement pour les Peyrescans qui se rendent à la foire, mais aussi pour les adolescents qui rejoignent le collège en ce début d’automne, grâce au petit « Train des Pignes » (qu’on appelait ainsi parce qu’on alimentait sa chaudière en pommes de pin – les pignes).
A l’école de Peyresq, les enfants retrouvent leur institutrice. Au moment de la récréation, les voix des jeunes écoliers parviennent aux oreilles de Jean qui garde son troupeau au-dessus du village. Il se souvient du temps où lui-même allait s’asseoir sur les bancs de l’école : de cette époque il ne lui reste que sa pierre gravée de ces signes étranges dont il a appris qu’ils sont grecs. Ce matin, sa bru Marie, est montée au grenier pour y prendre un panier de laine, qui attendait là d’être filée, depuis la tonte du printemps : elle veut commencer à tricoter la layette de son premier bébé, qui va naître bientôt. Jean est heureux en pensant à ce petit (ce sera sûrement un garçon !) qui fera de lui un grand-père, enfin ! Son fils aîné, Firmin, est resté célibataire, le cadet est mort sous une avalanche de neige : seul, le dernier, Jean-Baptiste, pouvait lui donner des petits enfants. Bientôt ce sera accompli. Marie réserve la laine la plus claire pour les mailletons; la laine marron sera pour les chaussettes de son mari.
Pendant que sa femme trie et file la laine, Jean-Baptiste est allé « éclairer » le four à pain. Un roulement pour le chauffage du four communal a été adopté depuis la fin du siècle dernier, afin d’éviter que ce ne soient toujours les mêmes habitants qui s’en chargent.
En ce début d’hiver, les outils des champs sont raccrochés dans la remise : la houe à deux dents, le pic pour les sols pierreux, les faucilles, le râteau, le van sont déjà rangés. Bientôt, la cognée, la hache et la scie de long viennent les rejoindre. Les habitants de Peyresq, peu à peu, reprennent leurs activités et habitudes d’hiver. A la « chambrette » où pendant les veillées, on parle de ceux qui se sont exilés : chaque année, de nouvelles familles quittent le village définitivement, et 1913 ne fera pas figure d’exception dans cet exode irrémédiable. La seule solution que trouvent les Peyrescans, face à leurs nombreuses difficultés de survie dans leurs montagnes, est de répondre à l’appel des villes : Annot, Digne, Aix, Grasse, Nice et surtout Marseille. La vie pour les habitants des hameaux isolés était encore plus rude que pour ceux du village. Ainsi, Firmin, fils d’un habitant du hameau de la Braïsse à une heure et demi de marche de Peyresq, n’avait jamais été à l’école et ne savait ni lire ni écrire.
La neige enveloppe à nouveau le village d’un immense silence blanc. Les hommes ont sorti les raquettes, qu’ils ont confectionnées eux-mêmes avec du bois et de la corde, pour se déplacer. Ils ouvrent d’étroits chemins pour se rendre d’une maison à l’autre et, surtout, de la maison à la fontaine. Pour aider le facteur, les jeunes du village ouvrent la route à la pelle: trois jours de travail pour arriver à la route de la Colle ! Tous les jours, quel que soit le temps, le facteur part à pied de Peyresq jusqu’à la gare de Thorame-Haute : une heure et demi pour descendre par une pente raide. Au retour, il y a une dénivelée de 600 m à remonter, avec, parfois, des colis à transporter. Combien de fois, le facteur a-t-il été obligé de passer la nuit sous un petit pont de la forêt de la Blache, dans un lit de feuilles, parce qu’une tempête de neige l’avait empêché d’atteindre le village !
Noël est revenu, avec, dans les petits souliers des enfants de Peyresq, des oranges et des friandises. La famille partage le souper traditionnel : les raviolis à la courge, nappés d’une sauce aux noix. Pendant ces vacances, les enfants s’en donnent à cœur joie dans la neige et les batailles de boules de neige sont leur occupation favorite.
Mais, peu à peu, la neige se transforme en boue sale qui s’écoule vers les ravins et les torrents bouillonnent d’une eau glacée. Le village sort de son engourdissement hivernal: pendant que les hommes se préparent à retourner aux champs, les femmes s’adonnent à de grosses lessives. Tandis que Marie remonte lentement de la source, avec sa corbeille de linge lavé, elle ressent une violente douleur. Elle sait ce que celle-ci annonce. Elle appelle sa mère, qui va prévenir la sage-femme. La chambre est vite prête, avec les bassines d’eau et les linges propres. Quelques heures plus tard, Joseph, petit-fils de Jean, pousse son premier cri dans la maison, à l’entrée du village. Une semaine plus tard, les cloches de l’église annoncent son baptême. Son père ne cache pas sa joie : Joseph est son premier enfant et un fils qui plus est !
Hélas, cette joie sera de courte durée ! Trois mois s’étaient écoulés, lorsque les cloches de l’église peyrescane se sont unies à celles des vallées et à celles de la France entière pour sonner le tocsin : la grande guerre s’annonçait. Tandis qu’elle va aux champs, en portant son bébé sur le dos, Marie voit son mari partir pour un pays dont il ne reviendra jamais. Il ne sera pas le seul « mort pour la patrie » : Peyresq payera un lourd tribut à la guerre : cinq hommes ne reverront pas leur village. Devoir oblige ! Et le devoir de citoyen patriote est un des traits de caractère des Peyrescans.
Joseph, fils de Jean-Baptiste, et petit-fils de « Jean », a 14 ans : depuis deux ans, il garde les vaches pour les propriétaires du village ; il remplace ceux qui ne peuvent pas assurer leur tour de garde. Pour permettre aux adultes d’aller travailler aux champs, les enfants les remplacent pour mener les bêtes à la pâture. Joseph se propose souvent, en échange d’un peu de nourriture qu’il rapporte à sa mère.
Quelques années plus tard, un autre Joseph, Joseph Lambot descend vers Thorame en chantant de sa belle voix : facteur du village, il va, tous les jours, à pied jusqu’à la gare de Thorame-Haute, pour y apporter le courrier de La Colle et de Peyresq et ramène de la vallée les lettres, journaux et colis pour les deux villages et le hameau du Fontanil. L’administration lui fournit l’habit et une paire de souliers cloutés par an. Par tous les temps, Joseph accomplit son travail. Il se donne du courage en chantant des airs d’opéra. « Il sait même chanter la messe en latin », disent de lui les autres Peyrescans. Dans sa demeure, au-dessus de la mairie, il garde précieusement tous ses livres dans un placard : il ne les prête jamais.
Joseph, le gardien des vaches, envie Joseph le facteur : pouvoir quitter le village, rencontrer d’autres gens, s’ouvrir au monde ! A Peyresq, ils ne sont plus que dix-sept habitants. Joseph a envie de participer au monde, de fuir le monotone tête-à-tête avec les vaches. Au village, ceux qui restent sont plus ou moins aigris par leur sort : à quoi bon lutter. La montagne est
trop forte. Il vaut mieux aller bâtir ailleurs. Au fond de sa poche de veste, Joseph tâte un joli galet ovale : c’est son grand-père qui le lui a donné, lorsqu’il a commencé à mener les bêtes aux pâturages. Il sait que les signes gravés sur une face signifient : « Ils sont nés pour s’aimer et non pour se haïr ».
Ce clair matin de printemps, sa décision est prise : il sera fonctionnaire, dans une vallée lointaine, là où il y a de la vie à entretenir, des cités à construire. Il grave de son couteau une phrase sur la deuxième face de la pierre plate : « Si vous voulez que les hommes s’entendent, faites-les bâtir ensemble ».
C’est l’institutrice qui lui avait dicté un jour ces mots, pendant une leçon de français. Joseph fait sienne cette pensée, pose le galet sur la cheminée de sa vieille maison à l’entrée du village de Peyresq et s’en va, sur les traces de tous ceux qui se sont exilés avant lui. Tous ceux qui sont devenus fonctionnaires, dans l’enseignement, la poste ou la gendarmerie ont tracé, de Peyresq, les chemins de l’exode. Joseph quitte, à son tour, ses montagnes et son village.
Georges Lambeau, directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Namur, parcourait alors l’arrière-pays de la Côte d’Azur à la recherche d’un vieux mas. Il fallait, disait-il, que les artistes puissent, une fois l’an au moins, faire retraite en un lieu au climat vivifiant, et où les richesses naturelles du site côtoieraient de remarquables réalisations humaines. La terre de Provence, creuset de tant de formes de l’art, de l’Antiquité à la Renaissance, et génératrice aujourd’hui encore de si nombreuses vocations artistiques, était, à cet égard, le bon choix.
Et c’est ainsi qu’il finit par découvrir, à 20 km au nord d’Annot, niché à 1528 m d’altitude au flanc d’un sommet des Alpes de Haute-Provence, un petit village dont le bois de mélèze des rares toits restés intacts et les murs de pierre rude se confondaient avec la roche grise d’où étaient issus les seconds : Peyresq. Quand il l’atteint, au bout de 4 km d’une petite route de montagne qui ne mène que là, Georges Lambeau n’y trouve plus que trois habitants permanents, quelques moutons et autant de chèvres, des murs qui se lézardent, des toits effondrés.
Peyresq, pourtant, avait été vivant. Autour de sa remarquable petite église romane du XIIIème siècle au toit de pierres plates venues du Grand Coyer tout proche, s’étaient groupées en un schéma qu’on croirait dû à un urbaniste de génie, une cinquantaine d’habitations dont les différents niveaux s’accrochaient à la roche, s’appuyaient sur elle. On vivait là d’élevage et de la culture en terrasses, sous le village, et dans le hameau voisin de la Braïsse. L’hiver était rude, mais, le printemps venu, la neige ne résistait pas longtemps aux rayons d’un soleil aigu.
Des bergers montaient alors à Peyresq avec leur famille et des moutons par milliers, venus de Saint-Tropez ou de Grimaud, qu’ils rejoindraient à l’automne. Mais il fallut abandonner des terres qui n’étaient plus rentables sauf à connaître des conditions de vie d’un autre âge.
On avait compté 28 feux à Peyresq en 1471, 201 habitants en 1765, 228 en 1851. Mais en 1906 n’y vivaient plus que 108 personnes, réparties en 32 ménages.
En 1932, on ferme définitivement l’école communale, et le hameau de la Braïsse, abandonné, entame son agonie. Le recensement de 1950 ne trouvera plus à Peyresq, comme dit plus haut, que 3 habitants permanents.
Il y a donc là, quand Georges Lambeau arrive en 1952, un dernier souffle de vie. Et s’il est immédiatement séduit par ce site déserté, il se sent aussi comme investi d’une mission : ne pas laisser mourir Peyresq.
Mais il cherchait un mas, et il trouve un village. L’entreprise dépasse son propos, et ses moyens. Aussi, dès son retour en Belgique, s’ouvre-t-il de son impossible projet à un ami bruxellois, Toine Smets, épris d’humanisme et de rencontres internationales, dont il connaît les attaches avec l’ensemble du monde universitaire. D’emblée, c’est l’enthousiasme.
Tous deux décidèrent d’unir leurs efforts tant financiers que techniques, pour reconstruire Peyresq, dans le but d’y réunir des étudiants, artistes et scientifiques, en un foyer d’humanisme rayonnant.
L’idée, à l’époque, était neuve et hardie. Et pourtant, dès 1953, ces deux pionniers se trouvent entourés et soutenus par des amis convaincus.
Georges avait demandé au Maire de nombreux renseignements sur le village de Peyresq, mais le Maire hésitait à lui répondre. Il avait déjà été sollicité de si nombreuses fois concernant le village de Peyresq, par exemple en 1949 par Luis Mariano.
C’est Marie, institutrice dans la vallée et seconde fille du Maire, qui insiste auprès de son père, afin qu’il réponde à Georges.
« Il faut garder le contact, dit-elle, on ne sait jamais, c’est peut-être le bon. »
A l’occasion des vœux de fin d’année 1952, dans la petite carte adressée à Toine et Mady, Georges laissait déjà planer une surprise pour ses amis.
Au printemps suivant, Toine entreprit le voyage à Peyresq. Le « Train des Pignes » le déposa à la petite halte de Peyresq, qui n’était plus utilisée depuis belle lurette. Difficilement il se fraya un passage le long de la rivière « Vaïre », traversa l’eau à plusieurs reprises avant d’entamer la montée par ce sentier millénaire que cette fois les genêts et les ronces avaient envahi. De temps en temps, il apercevait le village, tout là-haut, et essayait ainsi de ne pas s’égarer.
La montée lui parut longue et dure, mais retrouvant ses qualités de sportif, arriva à la place de Peyresq où il ne découvrit qu’une seule maison habitée, celle des Imbert, Maire de Peyresq, Joseph Imbert y vivait avec sa femme et une de ses filles, Lucie.
En quelques mots il leur expliqua qu’il venait d’en bas, du fond de la vallée où coule la Vaïre. Claudine Imbert, très accueillante, lui proposa un verre d’eau fraîche avec du sirop, mais il préféra un verre de lait qu’elle lui offrit bien volontiers.
Toine buvait en souriant, tout à fait séduit par la beauté de ce site et conquis par les lieux magnifiques que lui avait fait découvrir son ami Georges, imagina aussitôt la création d’un « Centre International Universitaire ».
Quelques semaines plus tard, la visite au village de Peyresq fut décidée.
Par une lumineuse journée de mai, sous un ciel bleu, typique des Alpes de Haute-Provence, Georges embarque à St-André, dans sa voiture d’un âge respectable, Toine et Mady, arrivés de Digne par le petit train.
La montée vers La Colle St-Michel, à fleur du précipice, n’est pas faite pour rassurer les voyageurs. Mais que dire alors du petit chemin chaotique, vertigineux, étroit, reliant La Colle à Peyresq, qui en 1953 tenait plus du chemin muletier que d’une route carrossable et était dépourvu de tout arbre, laissant apercevoir un précipice et aussi un panorama prestigieux à couper le souffle !
Le Maire Joseph Imbert attendait sur la place du village pour accueillir le petit groupe.
La visite débuta par la maison au coin de la place, dont les étages étaient encore accessibles. Puis ils avancèrent avec précaution dans les éboulis, entre des murs sans toit qui créaient des ombres de fantômes.
Vers la fin de la visite, dans une très ancienne petite maison à l’entrée du village, un objet placé sur l’ancienne cheminée en bois, caché dans la poussière, difficile à distinguer dans la pénombre, attira néanmoins l’attention.
L’ayant pris en main, débarrassé avec soin de la poussière, une belle pierre plate, ovale, blanche apparût, tranchant dans cet environnement; plus stupéfiant encore fut la découverte des étonnantes inscriptions gravées par le Petit Jean et par Joseph qui n’avaient, tous deux, jamais imaginé la portée que ces inscriptions auraient un jour lointain dans le devenir de leur village de Peyresq.
Alors avec un tout naturel enthousiasme, ces inscriptions, gravées par Jean et son petit-fils Joseph, deviendront les devises de la future association, dont l’objectif sera double : reconstruire Peyresq et en faire un lieu de rencontres humanistes et internationales.
Les deux pensées guideront et motiveront l’action.
La première de Sophocle : (« Je ne suis pas né pour haïr mais pour aimer »); la seconde de Saint-Exupéry : « Si vous voulez que les hommes s’entendent, faites-les bâtir ensemble ».
Dès juillet 1953, une petite équipe de l’Académie de Namur arriva à Peyresq dans une camionnette bien remplie et entreprit courageusement de déblayer le sol, d’une des maisons encore debout, mais couverte par le souvenir du passage de milliers de moutons.
D’enthousiasme en enthousiasme, Georges et Toine, comme dit plus haut, décident d’unir leurs efforts, tant financier que technique, pour reconstruire Peyresq, dans le but d’y réunir des étudiants, artistes et scientifiques en un foyer d’humanisme rayonnant.
Pour encourager et réaliser le projet de bâtir ce foyer d’humanisme et international, les pionniers, Georges et Toine, jugèrent nécessaire de constituer une ASBL, dénommée Pro Peyresq, ayant pour tâche de guider la reconstruction du village afin de converger vers les objectifs fixés. Ce projet fut efficace et le village reconstruit en témoigne aujourd’hui. C’est ainsi que sur la place de Peyresq, assis sur le vieux banc de pierre accroché à l’église, les statuts de l’Association Pro-Peyresq furent mis au point sous un lumineux soleil de Pâques 1954.
Evénement que nous fêtons en cette année 2004, où “l’espérance d’hommes venus d’ailleurs a rebâti ce village en ruines, lorsque les terres ne parvenaient plus à nourrir ses enfants”.
L’acquisition des ruines et des maisons aux toits effondrés apparut rapidement comme un impératif urgent. Nos pionniers donnèrent le coup d’envoi.
Le président Toine Smets fut un mécène persévérant. Il permit entre autres l’achat des premières maisons, dont il fit don par la suite à l’Union des Anciens Etudiants de l’Université Libre de Bruxelles en échange de bourses de séjour en faveur des étudiants participant à la reconstruction du village de Peyresq, ce qui contribua à la réussite du projet.
Il dota de plus l’Association d’un « Fonds Sophocle », lui permettant l’achat et l’aménagement des maisons, Sophocle, Erasme (droit), A.Sc.Br. (sciences), Baden-Powell, le déplacement de la bergerie de Noëllie située sous Sophocle, l’achat de la première et seconde camionnette, etc.
Nos deux pionniers furent rapidement suivis par les étudiants dynamiques qui entraînèrent leurs groupements: de l’Université de Bruxelles d’abord, de Gembloux, de Mons, de Liège, et l’Association des Tables Rondes. L’Académie de Bruxelles rejoignit les étudiants de l’Académie de Namur, présents dès le départ.
Si bien que Peyresq trouva sa formule de survie, une fédération de groupes. Chaque groupe étant propriétaire de sa ruine, la relevait à son rythme, à condition de suivre les conseils avisés de son architecte et de son maçon, René Simon à qui ce livre est dédié.
Il ne faut pas s’imaginer que les éléments vitaux pour le fonctionnement du village de Peyresq et sa reconstruction furent faciles à obtenir. Toute la correspondance de 1954 à 1956 du Maire, Simon Giraud, successeur de Joseph Imbert, avec les autorités et avec Georges et Toine, nous montre les démarches difficiles qui ont dû être effectuées.
Le point de départ était, sans aucun doute, l’électricité mais à l’époque, Peyresq, village presque inconnu, quasi inhabité et plus en ruine que debout, n’était pas rangé dans les villages prioritaires.
C’est grâce à la compréhension, à la collaboration du Préfet, du Sous-Préfet, du Conseiller général, du Président des Alpes-de-Haute-Provence, qui tous ont cru au projet humaniste de reconstruction du village de Peyresq, qu’après bien des mois et une avance de fonds substantielle de nos pionniers et de la commune, que l’ingénieur chargé de l’installation de la ligne électrique passa à l’action.
Finie l’ère de la lampe à pétrole et des bougies. Mais pas encore d’eau potable, ni d’égouts à Peyresq. Ce fut là une bataille d’une année supplémentaire et avec l’accord du Conseil Municipal l’introduction de la demande de prêt pour ces travaux avec en plus l’appui du Ministre des Affaires Etrangères Belges auprès de son homologue français de l’Agriculture.
Enfin, après un nouvel apport financier de nos pionniers et de la commune, pour l’eau et les égouts, le projet se concrétisa début de l’été 1956, en même temps que se réalisait la route départementale.
Le manque de commodités et le retour à la vie de la vraie nature n’ont pas empêché la mise en œuvre des travaux de reconstruction où le rythme était d’autant plus rapide qu’il fallait réaliser le toit dans la maison où on logeait, chambres, dortoirs sans électricité, sans eau courante, sans égouts, sans contraintes ? Le paradis quoi !
L’unique sanitaire était constitué par un édicule à trois panneaux ouvert sur le vide et l’horizon, équipé d’un drapeau rouge articulé afin d’en signaler l’occupation !
La reconstruction fut une époque exaltante, au point que chacun emportait la nuit ses outils pour être certain de les retrouver le lendemain?
Notre reconnaissance ne pourrait être assez grande à l’égard des autorités locales et départementales, pour leur soutien et leur encouragement pour cette entreprise hors norme, difficile à imaginer dans sa réalisation : nous les en remercions et n’oublierons jamais l’accueil chaleureux qui nous a été réservé.
Pierre Lamby, architecte, s’attacha avec un immense courage à la tâche de la reconstruction de Peyresq. Que dire des difficultés rencontrées en regardant certains coins du village et ses amas de ruines…
Son but : rendre à ces ruines une âme, recréer un village, retrouver sous les décombres le vrai visage de Peyresq.
A vingt ans on a envie de donner un sens à sa vie. Quel plus bel objectif que de participer à la reconstruction d’un village abandonné dans le but d’y réunir des étudiants, des artistes, des scientifiques en un foyer d’humanisme rayonnant.
L’idée lancée fut aussitôt suivie, mais dans ce village aux murs sans toit, les logements étaient rares et même inexistants.
Aussi l’équipe de départ en 1953 fut-elle réduite à 8 étudiants, tous de l’Académie de Namur. Des durs n’ayant pas peur des déblais, ni des crottins de mouton.
Les premiers travaux permirent de sauver presque intégralement quelques-unes des plus belles maisons. Celle de l’Union des Anciens Etudiants de l’Université Libre de Bruxelles, au coin de la place de Peyresq, ainsi que la maison dénommée par la suite Fabri de Peiresc.
Ces deux maisons permirent de disposer de logements supplémentaires, et il a été ainsi possible d’augmenter l’équipe à 30 courageux étudiants bâtisseurs.
Il en fallait du « courage » pour faire face uniquement à la force des bras à ces rudes travaux de déblais et de béton fait main.
Si cette reconstruction, difficile à imaginer, a été menée à bonne fin, nous le devons à ces étudiants bâtisseurs, à l’architecte et au maçon, mais aussi à toutes les bonnes volontés animées d’humanisme et gonflées d’enthousiasme : secrétaire, trésorier, économe, chefs de chantier.
C’est bien là, la raison profonde qui depuis l’origine a déclenché la longue suite de grands et petits miracles qui ont permis à Peyresq de renaître, de vivre et de rayonner.
L’équipe des étudiants bâtisseurs composée de volontaires, payant leur séjour et offrant leur travail avec enthousiasme, fut renforcée par quelques professionnels, puis grâce à la transformation du chemin muletier en route départementale, il fut possible de faire arriver quelques machines : une petite bétonneuse et un engin de transport qui relaya brouettes et pelles.
L’acheminement des matériaux dans le village en fut ainsi facilité.
Notre architecte, Pierre Lamby, nous explique comment pour les étudiants bâtisseurs le manque de toit au-dessus des dortoirs (et surtout le mauvais temps) aiguillonnait l’avancement du travail de couverture. L’atmosphère pionnière des chantiers était spécialement entraînante.
Levée à 6 h., l’équipe des étudiants bâtisseurs gagnait le hangar où depuis 5 h, déjà, s’escrimait à rainurer les planches de toiture, un personnage extraordinaire, un petit homme, sec comme un sarment de vigne, un charpentier espagnol, ne connaissant de la langue française qu’une seule expression, qu’il ressortait à tout bout de champ : « Putain de planche! ». Aussi les étudiants bâtisseurs l’avaient-ils baptisé de la sorte.
A 8 h. : transport des planches rainurées au travers du cimetière, jusqu’à pied d’œuvre.
A 10 h. : pause bol de lait de chèvre sur les marches de l’église.
Ensuite, sauf pendant les suspensions « repas », les planches n’arrêtaient pas d’être acheminées sur le toit où « Putain de planche », malgré trois doigts manquants à la main droite, réalisait rapidement le placement au-dessus de l’aplomb des paillasses. Et ainsi de suite tant que le soleil permettait d’y voir clair.
Naturellement, à situation exceptionnelle, effort exceptionnel de nos étudiants bâtisseurs.
Mais la lutte était inégale, car malgré les efforts surhumains des étudiants bâtisseurs de Peyresq, les hivers accentuaient la dégradation du village et des maisons abandonnées.
Chaque ancienne construction était de plus en plus menacée.
Le poids des neiges sur les toitures non entretenues, les faisait s’écrouler, entraînant fermes et tirants.
La maçonnerie, découverte, ne tardait pas à suivre par pans entiers. Bientôt il ne fut plus question de réparer ou de sauver, mais d’araser pour reconstruire.
Devant l’importance de ces travaux, les deux mois d’effective activité, au regard des dix mois d’abandon total, réclamaient une organisation toute différente des chantiers.
Nos étudiants bâtisseurs, au lieu d’élever les constructions par assises horizontales, furent obliger de travailler par phases verticales, réalisables dans le délai des deux mois d’activité de chantiers et absolument protégées, c’est-à-dire s’arrêtant à la finition de la toiture.
Cette façon de procéder a heureusement permis l’occupation immédiate de locaux très utiles pour les logements, les réunions, la cuisine, les repas et le départ des futures activités de Peyresq : culturelles et scientifiques.
Ainsi une trentaine de maisons furent-elles reconstruites en vingt-cinq à trente ans, mais il y aura toujours des travaux en cours à Peyresq.
Plus de 6.000 étudiants bâtisseurs ont apporté leurs efforts à la reconstruction du village de Peyresq, efforts couronnés de succès par la réalisation de ce lieu unique d’échanges et de rencontres.
Merci aux étudiants bâtisseurs, à notre architecte Pierre Lamby, et au dévoué maçon René Simon. Un village était mort, il revit !
C’est la somme de tous ces courages, de toutes ces initiatives, de tous ces dons, de tous ces rêves, de toutes ces solidarités, de toutes ces amitiés, de tous ces apports humanistes, qui a fait Peyresq.
Au début de la reconstruction du village de Peyresq, Pierre Lamby, architecte, rencontre au cours d’une randonnée le grand écrivain Jean Larteguy, en compagnie de Philippe Lamour, auteur des Centurions et président de la Commission Nationale pour l’Aménagement du Territoire dans ces Basses Alpes. Aussitôt s’engage la discussion sur le passé et le devenir du pays.
« Non, l’exode rural n’est pas toujours une catastrophe », déclare Philippe Lamour au grand étonnement de ses interlocuteurs.
Et d’insister en précisant : « l’abandon par les paysans des terres qui n’étaient plus rentables représente pour le pays un grand progrès économique et social.
La surpopulation que ces régions connaissaient encore il y a un siècle maintenait un mode de vie inhumaine pour une production sans valeur. Si étrange que cela puisse paraître, ces pays sont devenus riches en se dépeuplant.
La seule richesse, l’herbe, est consommée sur place par les troupeaux transhumant pendant les quatre mois d’été. L’abandon des villages à cette altitude, mais c’est un progrès …
En 1950, il n’y a plus ni cultures, ni pratiquement de villages, plus de vains efforts, ni de dépenses perdues. Le mouton gagne sa vie lui-même en se déplaçant pour aller consommer aux moindres frais les seules richesses de ces pays. La dure loi de l’économie a rendu rentables ces territoires qui jadis n’avaient créé que de la misère, et formule Philippe Lamour, l’idéal serait d’apporter à ces vallées et villages un renouveau culturel. »
Un tout jeune stoppeur, sur la route de Digne, Pierre Lamby, architecte, croisa en août la camionnette de Peyresq, conduite par Elise Lambeau, qui l’emporta vers ce village aux toits effondrés.
Pierre devint aussitôt le cerveau de la reconstruction du village de Peyresq. Il l’a pensé, médité, projeté, corrigé, dressé, redessiné, inventé, rebâti, l’a vécu sur place, avec le même esprit humaniste développé, 400 ans plus tôt, par le jeune Nicolas-Claude Fabri, Seigneur de Peiresc. Chaque ruine eut son relevé, ses plans futurs et cette voie tracée concentra les efforts et suscita de nouveaux programmes.
Pierre, l’architecte qui fit Peyresq, ne se contenta pas d’être le théoricien. Il fut aussi le réalisateur, surveillant les chantiers, veillant au moindre détail, perfectionnant sans cesse.
Avec la collaboration de l’inestimable René Simon, le célèbre maçon qui devint l’âme de Peyresq, la renaissance du village lui doit beaucoup. Le village en se rebâtissant s’embellit, mais en gardant avant toute chose, la dimension humaine et fut conçu de telle sorte que Peyresq conserve et retrouve son style original, son caractère typiquement montagnard.
Pierre, l’architecte, a fait de la renaissance de Peyresq l’une de ses œuvres maîtresses :
Relever Peyresq de ses ruines dans le plus grand respect de l’intégration au site et de l’esprit des lieux : vieilles pierres et bardeaux de mélèze.
Les efforts conjugués de Pierre l’architecte, de René Simon le maçon et des étudiants bâtisseurs, ont rendu à ces ruines leur beauté de jadis et redonné au village de Peyresq cet étrange caractère qu’avaient pu lui donner les bâtisseurs des siècles passés.
Un étrange mimétisme a donné à Peyresq le reflet de la roche à laquelle le village s’accroche. Sa beauté tient à sa merveilleuse situation sur un éperon rocheux qui domine la vallée, ainsi qu’à son architecture montagnarde, admirablement adaptée au site.
Pierre Lamby veille jalousement au respect des traditions et dans la mesure du possible à l’application des techniques anciennes. Grâce à cet effort pour conserver le caractère historique du village, et son organisation en foyers intimes autour de l’âtre, en pièces sombres et étroites, Pierre Lamby a trouvé un équilibre entre la conception pastorale de la vie montagnarde et l’organisation des maisons en fonction des rencontres, des réunions et des manifestations.
Les nombreuses activités qui se sont déroulées à Peyresq ces dernières années témoignent du succès de cet effort. Une trentaine de maisons ont été rebâties au cours de vacances actives, permettant d’accueillir d’un côté plus de cent vingt personnes, de l’autre une soixantaine. Des salles de séminaires, des laboratoires, des salles de spectacles, la cour des métiers et les théâtres en plein air, plus tard, le grand amphithéâtre naturel sont le fruit de cette réussite et le gage des possibilités de Peyresq.
Peyresq bâti en 1230, ses grottes abritant déjà à l’âge du Bronze les bergers ligures, son église romane du XIIIème siècle et ses deux cloches qui réglaient toute la vie du village, recèle diverses traces, témoignant de cette occupation lointaine : telle une hache en pierre verte polie découverte dans le sous-sol même du village et des poteries dites « Pégau » du XIème siècle, découvertes en 1957, lors du creusement pour le placement des tuyaux d’égouts.
Peu à peu, les gens du pays revinrent à Peyresq et entreprirent également de restaurer leur habitat.
D’autant plus, qu’inexistant en 1952, le village se vit équipé de l’électricité, puis de l’eau, grâce au captage de la source du Ray, située en contrebas du village et que seule une pompe électrique pouvait en remonter l’eau jusqu’au vieux château d’eau de Peyresq; de la mise en place d’un réseau d’égouts raccordés à une fosse septique, et d’une route départementale pour permettre enfin aux engins de parvenir au village.
Notre architecte, Pierre Lamby, nous donne quelques précisions sur les éléments d’architecture vernaculaire du village de Peyresq, la construction des toitures, le développement de l’habitat dans les temps anciens, le mode de fonctionnement des chantiers et sur la description des maisons de Peyresq constitué de maisons en hauteur, de peu de superficie au sol, avec de petites ouvertures pour le froid. Maisons jointives bâties avec la pierre calcaire de l’endroit et la chaux que l’on fabriquait sur place.
Jadis, le rez-de-chaussée, en général voûté et contrebuté sur la roche mère ou en tout cas sur des rochers d’éboulis choisis stables et ancrés, s’ouvrait vers la vallée abritant le bétail pour l’hiver. Ensuite, l’étage d’habitation, directement accessible latéralement, mais raccordé à l’étable sous la voûte par des trappillons, juste au-dessus du râtelier de la mangeoire, ce qui permettait, en saison de neige et de froid, de nourrir les bêtes sans devoir sortir. Ce bétail, outre qu’il résorbait par sa chaleur l’humidité de la cave, contribuait par les ouvertures au chauffage de la partie logement.
Dans la soupente, en accès direct par l’arrière, se trouvait la réserve de fourrage, matelas protecteur du froid comme du chaud. Là, aussi, des trappes permettaient de l’intérieur d’approvisionner le bétail.
Bien sûr, dans le cadre de leur restauration, l’affectation des locaux s’est trouvée bien changée.
Principe de construction des toitures en bardeaux de mélèze
Notre architecte, Pierre Lamby, nous décrit son projet dit de : « La Cour des Métiers ».
Celui-ci proposait la restauration de dix maisons, toutes dans un amas de ruines, autour de ce qui devait devenir la nouvelle placette.
Les six maisons formant l’angle nord de la place sont caratérisées par un étage à même niveau, relié par des terrasses ou balcons permettant une circulation horizontale sans interférence des autres niveaux, les liaisons verticales étant indépendantes d’accès.
Le principe d’utilisation de ces espaces de moyenne superficie (30 m2 chacun) était, lors de colloques, par exemple, d’installer des commissions de travail dans les locaux en liaison et de se réunir le soir, dans la Cour des Métiers, pour la séance plénière des différentes commissions. Mais ce n’est qu’un scénario, il y en a beaucoup d’autres. Une petite salle de projection (50 places), d’accès interne et externe, complète l’ensemble.
Une contrainte au projet : un accord préalable des groupes propriétaires riverains pour chaque animation de cet espace était indispensable, et correspond à l’esprit dans lequel tous les étudiants se sont mis à l’ouvrage par la suite.
La Cour des Métiers, conçue comme centre de vie culturelle.
Dispositif scène frontal, podium à l’Est : pour projections, concerts, théâtre à l’italienne, etc …
Dispositif scène ouverte en éperon : pour concerts, débats, théâtre à scène ouverte.
Dispositif scène ouverte en éperon : pour concerts, débats, théâtre à scène ouverte.
Le village de Peyresq s’achemine doucement vers sa reconstruction, mais on en est encore loin : il n’est pas encore assez avancé dans sa restauration et pourtant toujours dans l’optique de faire connaître le but humaniste de nos travaux, avec une audace toute juvénile, nous préparons un grand événement culturel.
En effet, voici le récit de notre architecte Pierre Lamby :
Cette saison là, début juillet, le village fut envahi par une troupe étrange composée d’individus s’interpellant par des noms bizarres, des noms du moyen âge.
En fait il s’agissait de participants à un stage d’art dramatique que le Service National de la Jeunesse programmait dans le cadre de l’organisation de la première activité culturelle dans le village en restauration, et groupant des étudiants membres de troupes de Jeunes Théâtres Universitaires ou d’acteurs amateurs indépendants.
La pièce qu’ils devaient travailler, puis présenter, sur la place de l’église, le jour de la fête nationale belge, racontait la lutte des « quatre fils Aymon » contre Charlemagne. Son auteur, Herman Closson, s’était expressément déplacé et avait modifié sa pièce afin de lui donner un épilogue franco-provençal. Le directeur du stage, Frank Lucas, assurait la mise en scène, tandis que son épouse animait l’atelier de décor et de costumes. Car le stage englobait toutes les disciplines du théâtre installées pour chacune dans des locaux différents : l’art de la mise en scène, du décor, du costume, de l’éclairage, etc.
Les acteurs, dont les rôles avaient été distribués dès la Belgique, étaient sensés connaître parfaitement leur texte en arrivant au village et pour se familiariser avec leur personnage, s’interpellaient par le nom de leur personnage dans la pièce, même en dehors des répétitions. Pendant que les stagiaires, déclament aux rochers ou à leur partenaire, les autres étudiants s’activent à préparer l’espace scénique et le parterre. Un podium en terre, précédé de cinq marches, avait déjà été réalisé l’année précédente près de la fontaine de la place, devant la future maison « Saint-Exupéry ».
La mise en scène utilisait le dispositif propre au Moyen-âge, sur le parvis des cathédrales : les « mentions » ou les décors présentaient, côte à côte, le paradis, l’enfer et d’autres lieux. Ainsi, le spectateur pouvait découvrir, selon l’éclairage qui le tirait de l’ombre, le palais de l’empereur, la tour de guet, la chaumière (l’arc boutant du Centre) ou la forêt plantée sur la rue du Coulet.
Pour la réalisation du parterre l’entrepreneur nous avait prêté ses plateaux d’échafaudages qui, disposés en arc de cercle, créaient une polarisation du public vers la scène, définissant de la sorte un espace d’avant scène. Pour compléter l’équipement deux tours en tubulaire métallique dressaient à près de six mètres de haut une cinquantaine de projecteurs chacune.
Le tapis de câbles circulait sous les gradins jusqu’à la fenêtre du bureau de l’économe, transformé en régie éclairage avec orgue à lumière et tableau des fiches indispensables. Tout le village travaillait à la préparation de la fête, les autochtones, les maçons, les enfants …
Mais, un matin, surprise ! Au tournant de la route, venant de la vallée, se profilent deux énormes cars de touristes allemands que la publicité organisée jusqu’à la côte avait retenu dans le programme des tour-opérateurs. La place en cul-de-sac est la seule aire de manœuvre possible pour des véhicules de cette taille. Cet incident se produisait à deux jours de la première et unique représentation à laquelle tout le pays était invité.
Tant pis, il fallut démonter une des deux tours, débrancher une partie des projecteurs (réglés durant des nuits entières), ranger les gradins. Cet incident nous a donné à réfléchir sur l’avenir de semblable manifestation ou de festivité.
Pour des raisons d’organisation de la soirée et la nécessité de pouvoir recevoir la presse dans un lieu couvert, il fut décidé, suite à l’adoption de l’idée de créer dans la grande ferme à l’entrée du village (Maison »Sophocle »), nouvellement couverte, le futur Centre de l’association, d’immédiatement réaliser, sans attendre l’étude d’un plan d’ensemble, l’aménagement du rez-de-chaussée, afin d’accueillir les autorités et personnalités conviées.
En effet, le Consul de Belgique à Nice, très favorable à notre action humaniste, avait décidé, afin de nous soutenir, de donner sa réception du 21 juillet du corps consulaire à Peyresq ! Il avait affrété deux camionnettes, l’une pleine de sandwiches, l’autre de vin blanc. Ah, le vin du consul ! Le lendemain, il en restait tellement, que pendant deux ans, nous avons pu continuer à le déguster.
En plus des diplomates de toutes nationalités, américains, soviétiques ou chinois, l’évêque de Digne, le commandant de la place, les maires et conseillers municipaux de toute la région, les motards de la gendarmerie, les pompiers avec leur véhicule, tout ce monde vint s’ajouter aux nombreux habitants des villages voisins. Il y avait près de cinq cents personnes sur la place. Le mistral qui avait énervé les acteurs durant la semaine entière, les obligeant à hurler leur texte, jusqu’à en perdre la voix, tomba brusquement. Mais pour pouvoir accueillir ce beau monde, le bar prévu dans l’ancienne étable du rez-de-chaussée de la ferme à l’entrée du village, devait être opérationnel. Nous ne disposions que de huit jours pour en réaliser l’aménagement et il fut réalisé. Le Consul de Belgique fut enchanté de cette journée du 21 juillet.
La reconstruction du village de Peyresq se précise
Pierre Lamby, l’architecte de Peyresq, nous décrit quelques-uns des chantiers et des diverses activités du moment :
Un groupe, le Cercle Polytechnique de la Faculté Universitaire de Mons, osa tenter l’aventure, acheta la ruine cad. 208, et se mit directement au déblayage des murs et toitures écroulées.
L’équipe était sensationnelle. Originaire d’un pays de mines, les montois se faisaient un devoir d’ériger avec leur déblais un véritable terril au milieu de la future place de Peyresq. Un petit problème survint. Un oiseau couvait. Le nid se lovait dans l’encoignure d’un mur de cave. Le chantier fut organisé de telle sorte que la couvée put être menée à terme. Dès l’éclosion, chaque fois que la mère revenait avec le ravitaillement, le chantier suspendait son activité quelques instants. Bientôt, l’oiseau et sa petit famille prirent leur envol et le mur put enfin être conforté.
Le chantier Tables Rondes avait abordé la troisième phase des travaux et le tas de pierres qui, au départ, encombrait l’aire de chantier, avait si bien fondu qu’il fallait à présent que les murs, par manque de pierres, soient construits à l’aide de parpaing de ciment avec parement de moellons, ou même sans parement lorsque la façade est percée de nombreuses portes fenêtres à volets rabattant. Un simple enduit plus une peinture ocre suffit à fondre le bâtiment dans le contexte environnant.
Comme le comité directeur des Tables Rondes ne pouvait financer à la fois les travaux et les bourses des étudiants, il décida de ne confier les travaux qu’aux seuls hommes de métier. Or ce qui donne une âme à ces restaurations, c’est la part accidentelle de l’amateur, son inventivité maladroite ou géniale, la personnalisation souvent involontaire, qui humanise la construction. Sinon le bâtiment achevé s’en ressent : froidement professionnel.
Lorsqu’une erreur intervient dans l’exécution, elle est intégrée, l’année suivante, à la reprise du chantier comme une volonté inscrite dans les plans, moyennant quelques aménagements de détail.
La bonne volonté est trop précieuse pour la négliger.
Dans la maison Th. Verhaegen (cad. 213) avait été installé un véritable atelier qui fournissait les étudiants en outils et matériel de chantier. Chaque chantier était organisé selon un programme précis, une équipe motivée et relayée selon les prévisions d’arrivage des équipiers et un budget plus au moins respecté. Un chef des travaux et quelques chefs de chantier encadraient les équipes. Quant à l’architecte, il galopait toute la journée d’un chantier à l’autre afin d’adapter ses plans de principe, non cotés ou presque, à la réalité des travaux en cours.
Les chantiers de la Cour des Métiers s’activaient de partout. L’espace se dégageait au fur et à mesure. Une cave voûtée découverte sous la placette pouvait être sauvegardée. Son relief servira de podium en dur pour le dispositif frontal de la scène, tandis que sa fraîcheur abritera la pharmacie de l’antenne médicale de l’association. La mise horizontale de la Cour des Métiers avait réclamé de grands soutènements. Ceux-ci ont contribué à la sauvegarde de la maison baptisée « Coubertin-Petitjean » (cad. 208). Cette façade très caractéristique recélait dans ses caves l’unique exemple d’une sorte de hourdis primitifs en plafond, constitués de poutres de section trapézoïdale avec des pierres plates comme intercalaires formant linteau.
Le chantier « Sophocle » était grevé d’une servitude désagréable. Dans l’angle de l’aile restaurant et de l’aile cuisine, subsistait une bergerie hébergeant encore un troupeau d’une centaine de moutons plus les mouches et l’odeur. La propriétaire, Noëllie, refusait de la céder, à moins de l’échanger contre une bergerie de capacité équivalente. Toine résolut la question : il acheta un terrain communal (le seul terrain acceptable pour le berger était situé à l’entrée de l’espace réservé au parking). Toine fit construire, à ses frais, une nouvelle bergerie et la donna à Noëllie, en échange de l’ancienne bergerie située sous la maison Sophocle.
Le tout fut réalisé en trois semaines. La vieille construction, qui disposait encore, comme bien des maisons du village, d’une grande citerne à eau de pluie, qu’il fallut bien démolir, fut aménagée en garages et réserves, reliées aux cuisines, tandis que la toiture en béton s’organisait en vaste terrasse restaurant que prolongeait la terrasse sur pilotis du pignon.
« La maison Alain » :
Toine avait, acquis en 1963 une maison, située à l’extrémité Est du site, extrémité qui en fait, venant de Méailles représentait l’ancienne entrée du village. C’est par ce chemin, ponctué en son dernier tournant par une chapelle votive du XVIIè siècle que se découvre la vue la plus caratéristique sur l’ensemble des maisons. Il destinait sa nouvelle acquisition, une fois rénovée à l’accueil de personnalités importantes tel un recteur d’université et sa famille, désireux de mieux connaître l’activité de ses étudiants.
Le panorama sur la vallée à cet endroit est peut-être le plus exceptionnel du site. Le problème était que la bâtisse, qui en 1940 déjà, avait des velléités flagrantes de descendre d’une pièce au fond du ravin : les pignons s’ouvraient, les murs ondulaient et l’ensemble ne tenait plus que par la vertu de l’homogénéité de la toiture.
Ce fut le chantier le plus inquiétant et le plus onéreux en gros-œuvre du village. En premier, il était nécessaire de démonter les planchers des deux niveaux, et pour ce faire, agrandir les creux d’encastrement des poutres. A chaque effort de désengagement, les pierres dévalaient et le ciel apparaissait à travers le mur. Aucun étudiant n’était admis sur le chantier: seuls, René, l’entrepreneur et pour le soutenir moralement, l’architecte, tous deux, plutôt inquiets et faisant semblant d’ignorer le réel danger.
Le bétonnage des deux dalles de sol donna quelque répit à la carcasse, mais des témoins de plâtre posés sur les fissures révélèrent une continuité du mouvement. Une opération lourde consista alors en un bétonnage armé d’une ceinture allant de roches à roches et franchissant presque le vide, afin d’assurer la base de la maison et créant ainsi la première terrasse d’une stabilité à toute épreuve. Le niveau suivant réclamait un traitement similaire. Une dalle extérieure formant la deuxième terrasse et s’appuyant sur un contrefort puissant et deux piliers de béton parés de moellons poursuivait son armature, sous le chemin, jusqu’à un ancrage en encoche taillé dans la roche.
La troisième terrasse, entièrement en bois, assurait aux estivants un mode de vie moitié intérieure, moitié extérieure, qu’exprime cette architecture.
Depuis quelques années déjà, nous précise notre architecte Pierre Lamby, le village avait eu l’occasion d’accueillir d’éminents professeurs de sciences naturelles séjournant à la Colle St-Michel, le hameau voisin. Ils attirèrent l’attention sur l’extraordinaire richesse entomologique et botanique de la région. Dans un rayon relativement restreint (± 5 km) vers les sommets ou les vallées, vers les pentes ensoleillées ou ombreuses, sèches ou humides, calmes ou venteuses, l’observateur averti peut rencontrer, sans grands déplacements, pratiquement toutes les plantes et les insectes attachés à leur pollinisation, que l’on peut découvrir en France.
Déjà le Laboratoire de Botanique de l’Université Libre de Bruxelles s’était implanté, quelques années auparavant, dans une bâtisse presque intacte, située à proximité de la Cour des Métiers. Des étudiants accompagnés de leurs assistants ou professeurs participaient, quand ils ne s’activaient pas sur les chantiers, à des randonnées d’observation, de capture et de traitement d’insectes. L’abondance des récoltes dépassa toutes les possibilités d’entreposage et bientôt s’imposa le principe d’une antenne d’entomologie et de botanique pratiquement permanente, pouvant accueillir des futurs chercheurs aux différentes périodes clef de l’année, floraison, éclosion, fécondation, etc., des multiples espèces. De toutes les maisons dignes d’être reconstruites à Peyresq, celle qui recevrait cette affectation serait une de celles à disposer d’une telle légitimité.
L’Institut Agronomique de Gembloux, selon le plan général d’urbanisme de principe, put acquérir deux parcelles contiguës : la cad. 212, dont il ne subsistait que la cave voûtée, et surtout la cad. 211, l’ancien four communal, énorme tas de pierres ou sommeillait une énigme quant à l’emplacement exact du four proprement dit, ou de ce qui pouvait en subsister.
Les fouilleurs se mirent sans trop d’appréhension à l’ouvrage. Bientôt ils rencontrèrent, sous les gravats, une masse de poussière rougeâtre : du grès d’Annot pilé. C’était déjà une indication. Cette poussière fut mise en réserve dans des sacs à ciment vides. La coupole apparut alors, intacte, suivie, à notre surprise, de la pierre massive d’entrée du four avec sa batée finement sculptée. Aucune trace de la hotte en bois qui, supposons-nous devait la surmonter, ni de la porte elle-même, d’ailleurs. La coupole surbaissée, en grès d’Annot à bandeau appareillé à sec était impeccablement conservée. D’un diamètre de près de trois mètres pour une hauteur libre de 1m20, ce four était relativement récent, le vieux four ayant explosé en 1930. (Nous avons retrouvé certains éléments concaves des bandeaux inférieurs réemployés comme pavement au début de la rue du Coulet, devant l’ancienne école).
L’ouverture d’enfournement, monolithe de 1m. de long sur 0,80 de large et 0,80 de haut posé sur un seuil massif de 0,20 d’épaisseur, présentait malheureusement un léger affaissement. Mais il fut décidé de n’y pas toucher et de reconstruire la paroi frontale directement dessus. La poussière de grès refractaire fut remise en place ainsi qu’un conduit d’évacuation des gaz détonnants branché sur l’ouverture existant au sommet de l’arche faisant linteau à la porte du four.
Le sol du local se présentait en contrebas de la rue du Four. Les clients y accédaient jadis par un escalier à vis dont les marches, énormes et trop lourdes pour être remontées, servent à présent de banquettes devant le four. Le plan de principe d’origine devait être adapté à l’affectation précise du nouvel utilisateur, nous dit l’architecte Pierre Lamby.
Dans le local laboratoire, à l’étage, au-dessus du four, le maître de l’ouvrage demanda une baie vitrée continue sur allège haute encastrant de multiples prises de courant là où il était prévu des fenêtres traditionnelles en hauteur à volets rabattants. De même, à l’étage, où il était prévu une galerie couverte qui dans le futur serait reliée à la galerie amorcée devant la maison Archimède (polytechnique Mons) il opta pour la mise à fleur extérieure du parement en moellons de l’ensemble des châssis sous corniche, ce qui aurait pour conséquences futures la rupture du soulignement horizontal des places de spectateurs lors d’animations festives sur la place. Le maître de l’ouvrage avait par la même occasion renoncé à étendre l’espace de l’étage sur la parcelle contiguë arrière, tel que le plan général de principe le prévoyait, car ces volumes sous la pente irrégulière des toitures, pris séparément, sont respectivement trop exigus. Dans le front de façades de la rue du Four, le côté HLM de la façade du laboratoire d’entomologie paraît quelque peu incongru. Mais ces remarques ont surtout été flagrantes lorsque commença la reconstruction de la parcelle voisine, la parcelle cad. 210, l’ancienne auberge du village.
Les seuls vestiges subsistants étaient un angle en pierres bleue incorporant une chatière (encore visible dans le mur), la margelle d’une citerne à eau de pluie garnie d’un bloc de grès millésimé (1876) et une mini cave à fromage encastrée dans le mur mitoyen et se prolongeant sous la propriété voisine.
Cette ruine était séparée de la maison abritant le four par une venelle très étroite, (0,70 m à mi-course et 1m aux abouts) appelée rue de la Grand Boune à propos de laquelle avait circulé jadis des rumeurs plutôt malveillantes à l’égard de ceux et surtout de celles qui se risquaient à l’emprunter.
Le Moulin
Revenons à l’année 1967, année chaude, nous dit notre architecte Pierre Lamby.
Peyresq possédait un moulin à eau, situé au confluent de la Vaïre et du Ray, dans la vallée, 500 m en contrebas. Les récoltes des restanques (terrasses) établies sur les flancs de la montagne, sous le village, étaient descendues à dos d’homme, moulues et remontées de même jusqu’au four ou aux réserves. En 1868, une crue de la rivière mit fin définitivement à son exploitation et à cet effort épuisant, peut-être, mais créant des liens de grande solidarité.
Toine eut l’occasion d’acquérir le moulin abandonné. Il en fit don à Pro Peyresq dans l’intention d’assurer sa restauration par les étudiants et son adaptation à l’accueil des randonneurs ou des voyageurs descendant du petit train des pignes à la « Halte de Peyresq » toute proche.
Le projet de restauration fit l’objet d’une longue mise au point : transport des matériaux, (25 étudiants avec 4 bardeaux chacun pour le renouvellement de la toiture, un âne chargé de ciment et un autre de sable pour le ragréage des façades), le reste se trouvant sur place (la charpente encore saine, la pierre et l’eau de la Vaïre pour le gâchage du mortier). Une belle aventure se dessinait, digne des pionniers des premiers temps de la restauration du village de Peyresq.
Hélas, au début septembre, un incendie prit naissance aux environs immédiats du moulin et gagna rapidement la pente boisée de la vallée, activé par un vent très violent. Le feu montait vers le village. Les pompiers, aussitôt alertés, arrivaient par la route et par les airs – un petit plateau, à l’entrée du village, permettait l’atterrissage des hélicoptères -. Un hameau de quatre bâtisses, situé en contrebas, sur le chemin de Méailles, La Gardivole, venait de s’embraser lorsque, miracle, le vent changea brusquement de direction et la fournaise repartit… vers l’est où les canadairs parvinrent à la circonscrire.
La Gardivole était la dernière exploitation agricole qui avait poursuivi un semblant d’exploitation et elle s’envolait en fumée avec le moulin et nos espoirs.
Les Montois du chantier de la maison Archimède, nous raconte notre architecte Pierre Lamby, avaient invité, depuis plusieurs saisons, à se joindre à eux, des étudiants de faculté de l’université de Liège. Ceux-ci, cédant à l’enthousiasme communicatif de leurs hôtes, parvinrent à convaincre les autorités académiques de les aider à acquérir la ruine cad. 210.
L’implantation de la ruine de l’auberge, juste à l’angle fermé de la place et présentant une vaste pièce à double orientation et double accès et de plain pied avec l’espace d’animation, avait défini l’affection idéale de ce local; le bistrot du coin !
La margelle de la citerne avait juste la hauteur d’un comptoir de bar. La citerne elle-même, offrait sa fraîcheur pour y entreposer les tonnelets de bière à pression. Il ne manquait qu’un grand feu ouvert et quelques bancs et tables pour que le décor soit complet.
Bien sûr toutes ces rêveries demeuraient d’ordre privé, les associations ne disposant d’aucune licence. La maison prit le nom d' »Amon Tchantchès » (chez Tchantchès) du nom de la célèbre marionnette folklorique liégeoise.
Le premier étage s’ouvre sur la galerie ouverte, et comme pour Mons (Archimède) et Gembloux (Cérès), la soupente est affectée aux logements avec accès indépendant. Avec la reconstruction de cette maison, la venelle s’est trouvée reconstituée, et même sur deux niveaux, l’accès vers l’arrière de l’étage Gembloutois ayant été obligé, par le refus, d’en faire un seul espace.
Le plan général de principe de la Cour des Métiers prévoyait,à l’extérieur de l’angle de jonction de la maison de Liège et de Mons, à l’emplacement d’une ruine cad. 209, dont le pignon ouest (côté mistral en cette situation) subsistait seul, une petite salle en gradins avec cabine de projection. La salle donnait directement sur la galerie couverte par son niveau supérieur. Ce mur, très ancien de par le fruit de ses angles et le choix des pierres pour un appareillage à joints fins, servait de ralentisseur aux troupeaux en transhumance. En fait, la solitude de ce pignon résultait d’une catastrophe évitée de justesse.
La bâtisse cad. 185 (actuelle « Gassendi ») avait la situation la plus haute de Peyresq et semblait escalader le couronnement de rochers qui dominent le village.
Une entaille énorme en zébrait le pignon mitoyen, découvert par l’effrondement de la ruine contiguë. Aussi, à peine acquise, nous fûmes mis, dès 1961, dans l’obligation de sécuriser cette ruine.
Avant tout, la toiture devait être délicatement retirée, car même sans surcharge de neige, elle présentait un danger d’entraînement et d’écroulement de la façade. Notre jeune entrepreneur, René Simon, fit solidement arrimer la faîtière et disposa aux cordages de retenue, sur une plate-forme naturelle située à l’abri, une équipe de gros bras estudiantins. Lui-même s’introduisit à l’arrière du plancher du dernier étage. A l’aide d’une perche, il entreprit de désolidariser, à petits coups précis, les chevrons de la sablière. Au troisième coup, dans un nuage de poussière et un grand vacarme, la façade entière bascula sur la ruine située en-dessous, de l’autre côté du chemin, qui à son tour s’effondra comme un château de cartes sur l’ancienne auberge.
Un long moment après la retombée du nuage de poussière, les étudiants, complètement hébétés se risquèrent à appeler « René, … René?… »
« T’inquiète pas » fut sa seule réponse. Il avait vu la poussière des joints couler le long des murs et s’était vivement jeté en arrière sur une partie stable du plancher préalablement repérée.
Le caractère humaniste de la reconstruction
Pour rappeler à chaque instant le caractère humaniste de l’entreprise, ses objectifs scientifiques et culturels, chaque maison reconstruite reçut le nom d’un grand humaniste, d’un savant, d’un philanthrope, d’un grand résistant, d’un artiste … :
Maisons Pro-Peyresq : • Amon Tchantchès • Evariste Galois • de Coubertin • Théodore Verhaegen • Erasme • Fabri de Peiresc • Archimède • Thyl Uylenspiegel • Eupalinos • Galilée • Breughel • Sophocle • Salvator Allende
Maisons Peyresq Foyer d’Humanisme : • Louis de Broglie • Leonardo da Vinci • Gassendi • Mistral • Alain • Félicien Rops • Phidias • Tables Rondes • A.Sc.Br. – Jan Smets (Darwin) • Newton • Copernic • Darwin • Cérès • Cours René Simon • ……
Peyresq classé à l’inventaire des Monuments Historiques le 15 octobre 1971
L’église a en effet été classée à l’inventaire des Monuments Historiques en 1971, avec une zone de protection de 250 m autour de l’édifice classé. Le village étant ainsi entièrement englobé dans cette zone. Signé de l’Attaché d’Administration chargé de la protection des Monuments Historiques.
L’action de sauvegarde et de renaissance du village de Peyresq a été couronnée en 1980 par l’attribution de deux prix exceptionnels :
Parmi les cinq cents dossiers examinés par le jury du concours des « Chefs-d’œuvre en péril », organisé par Antenne 2 avec le concours en 1980 « Année du patrimoine » du Ministère de la Culture et de celui de l’Environnement et du Cadre de Vie, le deuxième prix a été décerné pour la reconstruction du village de Peyresq.
reçue des mains de Lord Duncan Sandys, pour l’œuvre de reconstruction de l’ancien village de Peyresq et sa reconversion en Centre de rencontres internationales et en Université d’Eté.
Un des premiers grands colloques de Physique au village de Peyresq
organisé par la Fondation Louis de Broglie, « dont la vocation est à la fois scientifique et humaniste, car toute entreprise visant à mieux comprendre, doit par définition servir l’homme » :
Ce colloque avait pour but de dégager les grandes lignes de la vision du monde dans la physique contemporaine, grâce à la collaboration des plus grands noms de la physique contemporaine comme : O. Costa de Beauregard, J.M. Levy-Leblond, G. Lochak, Rybak, R. Thom, A.M. Tonnelat, etc.
Au total, vingt-sept éminents professeurs de six pays différents ont fait le point du développement de la physique en cette seconde moitié du XXè siècle. Parmi les auditeurs, de nombreux professeurs et étudiants venus de différents pays (belges, italiens, français, portugais, autrichiens, américains, mexicains, brésiliens, espagnols, grecs, suisses, tunisiens, etc …)
Les douze grands thèmes développés ont été :
• L’espace-temps. • Le continu et le discontinu. • Les particules et les interactions. • Mathématiques et réalité. • Les systèmes dynamiques. • Biophysique. • La stochastique.
• L’information, la cybernétique et l’humain. L’intelligence artificielle. • Complexité, régulations et stabilité. • L’évolution temporelle et l’irréversibilité. • Les rapports de la science et de la technologie.
• Les idéologies scientifiques dominantes et le progrès scientifique.
Cette réunion se déroula dans un esprit de synthèse et de simplicité, gage d’un apport véritable de la science à la culture de notre temps. Confirmant le destin du village reconstruit à ce type de manifestation et marquant une étape dans la réalisation de la vocation de Peyresq, telle que l’ont choisie les initiateurs du renouveau peyrescan: « Peyresq, centre d’humanisme, de science, de culture internationale et pluraliste ».
Humanisme de Plaine et Humanisme d’Altitude :
« Conférences à Peyresq »
« 2 août 1987 : disposés sans ordre à la fantaisie de l’ombre
sur la vaste place de Peyresq, des gens qui se connaissent, des gens qui ne se connaissent pas, des gens qui savent des choses, d’autres qui ne les savent pas, des gens parfois qui s’assemblent comme humanistes, beaucoup qui ont lu ou entendu quelque part le terme humanisme, sont là, vêtus d’été, qui debout, qui assis sur les bancs du village là transportés, ou sur les dalles ou murets … et l’heure de la collation a déjà sonné, largement. Or nulle impatience, un silence attentif et des visages animés …
… Mais où donc, et quand, paroles plus doctes autant que
plus chaleureuses, à cette altitude, parmi les montagnes, furent-elles adressées à peuple plus réceptif ? …
… Ne parlons pourtant pas grec ou français, et écoutons les parleurs de Peyresq.
L’un deux, Georges Lochak, nous entretient, l’actualité y invite, de Louis de Broglie, le grand physicien est chez lui à Peyresq, avec son humanisme digne des grands Renaissants, digne de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc …
L’autre nous parle d’humanisme et l’attention ne faiblit pas, avant d’entamer le solide repas arrosé d’un petit vin de Provence. »
Le fulgurant développement des rencontres scientifiques et culturelles à Peyresq est le résultat de l’active collaboration de l’ ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc * et de l’extraordinaire travail de toute une équipe, composée de professeurs, étudiants et anciens étudiants mettant à disposition leur enthousiasme, leurs connaissances; leur expérience, leurs méthodes nouvelles d’organisation, de contact et d’accueil.
* ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc
A travers son rayonnement européen et international, cette ASBL développe son action continue de la vie scientifique, artistique et culturelle, tant à Bruxelles qu’au village provençal de Peyresq et dans les vallées Verdon-Vaïre.