L'institut Robert Hooke de Culture Scientifique de l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, a organisé, en partenariat avec l'ABSL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc et Peyresq Foyer d'Humanisme, les Premières Journées Interdisciplinaires “Sciences & Fictions”, qui ont ouvert la saison 2007 des rencontres de Peyresq, du 17 au 19 mai 2007.
Conçues comme un outil de réflexion et de fédération de la jeune communauté universitaire francophone de science-fiction, toutes disciplines confondues, elles ont été largement ouvertes aux doctorants, comme aux chercheurs confirmés, et ont accueilli également des auteurs, des éditeurs, des traducteurs, tous logés et réunis dans l'un des villages les plus hauts perchés de l'arrière-pays niçois, et largement dédié à ce genre de manifestations culturelles hors normes.
L'année 2007 correspondant au centenaire de la naissance de l'un des plus grands auteurs de science-fiction américains, Robert Anson Heinlein (1907 1988), c'est tout naturellement que son oeuvre, et son parcours, ont été choisies comme thème de ces premières journées, sous le titre évocateur : “Robert A. Heinlein et la pédagogie du réel”
La réjouissante diversité de compétences, de cultures, voire de méthodologies, a permis de mettre en lumière, à travers une série de sessions thématiques très ouvertes, à la manière des “SF Studies” anglo-saxonnes, un grand nombre de sujets scientifiques, philosophiques, et plus largement sociopolitiques, qui ont pu être éclairés par le croisement de personnalités et recherches préalablement entreprises, tout en ouvrant un certain nombre de pistes nouvelles.
Les journées interdisciplinaires se sont déroulées, pour l'essentiel, dans la grande salle de conférence de la maison VINCI, au coeur de village et, il faut le rappeler, se sont souvent poursuivies sur la vaste terrasse inondée de soleil autour d'un café, ou tard dans la soirée, au hasard des enthousiasmes et de rencontres interpersonnelles. La liste des participants permet, d'emblée, de mesurer les perspectives d'interdisciplinarité de ces premières journées S&F de Peyresq.
Une présentation chronologico-thématique de ces trois journées est la meilleure manière de rendre sensible, de façon synthétique, de l'ampleur des résultats qui ont été obtenus. De façon générale, la liberté et la qualité de l'accueil reçu à Peyresq ont conquis tout le monde, et, les Deuxièmes Journées interdisciplinaires “Sciences & Fictions” de Peyresq sont, d'ores et déjà, en préparation.
Jeudi 17 mai 2007
Les participants ont été accueillis à Peyresq vers 11h00, par Jean-Luc Beaumont et Eric Picholle, membres de l'Institut Robert Hooke de l'université de Nice, après un agréable transport en bus durant lequel Ugo Bellagamba, organisateur, et Anouk Arnal, ont fait une présentation historique de village de Peyresq, depuis ses origines jusqu'à sa reconstruction quasi-complète, et on permis, à ceux qui ne les connaissaient pas encore, de découvrir les merveilles des Alpes de Haute Provence, notamment la Citadelle d'Entrevaux et les Grès d'Annot.
Une fois les participants installés confortablement dans les différentes maisons de Peyresq, dépendant de “Peyresq Foyer d'Humanisme”, toutes entièrement restaurées, et baptisées des noms évocateurs de Mistral, Rops, Phidias, Vinci, Gassendi, etc, tout le monde s'est retrouvé vers midi dans la grande salle de conférence, entièrement équipée, de la maison Vinci pour l'ouverture officielle des Premières Journées Interdisciplinaires “Sciences & Fictions” de Peyresq, sur le thème “Robert A. Heinlein et la pédagogie du réel”.
Ugo Bellagamba et Eric Picholle ont présenté les Journées S&F.
Le premier a évoqué la complémentarité des disciplines représentées par la vingtaine d'intervenants présents, tandis que le second rappelait que, s'il n'y avait que de “fortes personnalités” dans la salle, cela était tout à fait délibéré. Ugo a poursuivi en insistant sur le fait que la réussite de ces premières Journées SF de Peyresq reposait avant tout sur l'interactivité et la spontanéité, et non pas, comme dans un colloque classique, sur une succession de communications individuelles, beaucoup plus statique.
Dans ce contexte, l'oeuvre de Robert A. Heinlein a été choisie pour servir de point de départ et non d'aboutissement à la réflexion collective ; d'instrument de travail plutôt que d'objet de l'étude en elle-même. Ugo a précisé que chaque session sera animée par un modérateur dont le rôle est de lancer le débat et de permettre à tout le monde de s'exprimer. Il a expliqué que toutes les sessions étaient plénières, mais que tous les participants étaient cependant libres d'intervenir ou de ne pas intervenir, y compris, comme l'a demandé Roland C. Wagner pour “dire des bêtises”, si elles sont pertinentes. Les sessions ne constituent donc, d'emblée, qu'un cadre “officiel” qui n'a rien de contraignant. Les organisateurs ont insisté sur “l'espace de rencontre et de liberté” qu'offre Peyresq à tous les chercheurs et auteurs présents.
Eric Picholle a ensuite présenté une synthèse sur la vie et l'oeuvre de Robert A. Heinlein, à l'aide d'un support iconographique mêlant archives et dates-clefs. Il a brossé un tableau de la vie de l'auteur, et des enjeux qui l'ont jalonnée, depuis son enfance, au sein d'une famille modeste, à Butler, dans le Missouri, en plein coeur du “Bible Belt”, sa formation militaire à l'Académie Navale d'Annapolis, ses ennuis de santé (notamment sa tuberculose), son travail dans un laboratoire militaire d'aéronautique durant la guerre, son engagement pour un contrôle supranational de l'armement atomique, ses premiers pas dans l'écriture, et sa rapide accession à un statut d'auteur majeur, depuis l'obtention de son premier prix “Hugo” pour “Double Etoile”, en 1956, jusqu'à l'obtention du premier “Grand Master Award”, en 1974, et ses dernières années, tout aussi riches en défis narratifs et/ou politiques que celles qui les ont précédées. Auteur d'un essai sur la vie et l'oeuvre de Robert A. Heinlein, coécrit avec Ugo Bellagamba, Eric Picholle a conclu sa présentation en rappelant le caractère “foisonnant” de l'oeuvre, et celui, non moins romanesque, de son parcours.
Après le déjeuner, l'après-midi s'ouvre sur une session consacrée à un thème central : “Comment s'approprier les révolutions scientifiques du XXe siècle ?”, ou l'importance, au coeur de l'oeuvre de Robert A. Heinlein en particulier, et de la science-fiction en général, de la science et de la façon dont celle-ci est présentée, appréhendée, par les auteurs.
Jean-Louis Trudel remplace Serge Lehman, malheureusement excusé, en tant que modérateur. Il fait le point sur les grandes avancées scientifiques du XXe siècle, en commençant par l'astronomie, puis en poursuivant par la physique, la biochimie, la biologie, l'écologie. Il rappelle que les plus grandes avancées datent souvent des premières décennies du siècle, comme la physique quantique en fournit l'exemple. Le modérateur choisit de se concentrer sur les révolutions scientifiques (i.e. conceptuelles) et non pas technologiques, à l'exception des développements de l'informatique, notamment cognitive. Puis il prend place parmi les autres participants et lance le débat.
La discussion s'ouvre avec Roger Bozzetto qui demande aux scientifiques présents de s'exprimer sur la différence sémantique et conceptuelle entre les termes de “révolution” et d' “avancée” scientifique. Le modérateur évoque, pour sa part, le critère de l' “incommensurabilité” de la conception du monde, avant et après la révolution scientifique. Joseph Kouneiher s'exprime à son tour et rejoint Jean-Louis Trudel sur un second critère : il y a “révolution” lorsque la science “frappe dans sa nouveauté” et attire l'attention de l'auteur de SF et ses lecteurs. La “charge de nouveauté” fait débat : qu'est-ce qui compte le plus pour la science-fiction ? Le concept ou l'effet de nouveauté ? La science-fiction est-elle réellement capable de s'approprier les révolutions scientifiques du siècle ? Ou ne se contente-t-elle que de les évoquer, superficiellement, en jouant sur les images qui les accompagnent ?
Eric Picholle fait remarquer que Jean-Louis Trudel n'a pas évoqué “la conquête spatiale”, et ce dernier se justifie en expliquant que celle-ci est plus une révolution technologique que scientifique. Pourtant “la conquête de l'espace est une idée simple qui passionne Heinlein et la plupart des auteurs de science-fiction contemporains”. Il est vrai que cet élan vers l'espace, dont Robert Heinlein s'est fait le chantre dans son “Histoire du Futur” répond bien au critère de “nouveauté” évoqué précédemment, alors qu'elle ne s'accompagne, précisément, d'aucune difficulté conceptuelle. Ce qui compte le plus pour Heinlein, c'est la “pédagogie” de l'espace. D'où les nombreux “juvenile” (romans pour la jeunesse) qu'il publiera sur ce thème (voir infra).
Sylvie Allouche évoque la découverte des exoplanètes qui est, cette fois-ci, une véritable révolution scientifique à la fin du XXe siècle, sauf qu'en l'espèce, la science-fiction avait devancé la science depuis très longtemps. Comme le rappelle Roland C. Wagner “la pluralité de mondes, voire de galaxies, est prise en compte très tôt par le genre”, notamment sous les plumes de E.E. “Doc” Smith ou d'Edmond Hamilton, avec “Les voleurs d'étoiles”, en 1928.
Inversement, il s'avère que les auteurs de science-fiction sont parfois en retard sur les avancées conceptuelles, qu'ils ne parviennent pas à appréhender correctement. Ainsi est-ce le cas de la relativité générale et de la relativité restreinte d'Einstein, qui ne sont pas comprises par les auteurs américains et/ou européens.
Un triple résultat se dessine :
1) La science-fiction apparaît moins apte à s'approprier les révolutions scientifiques du siècle, qu'à en faire la pédagogie, ou tout au moins, qu'à faire connaître leur existence.
2) Le mot “révolution” doit être pris au sens large “d'avancées”, souvent plus technologiques que véritablement conceptuelles : soit la science-fiction est très avance, soit elle se contente de faire la pédagogie des concepts déjà existants.
3) Les auteurs maîtrisent donc moins les concepts nouveaux que les conséquences que ceux-ci peuvent avoir, et l'exploitation narrative que l'on peut en tirer. Ils sont des conteurs plus que des savants.
Sur ce dernier point, Robert Heinlein est l'un des seuls à tenter de traduire narrativement les implications réelles de la physique quantique. Mais il ne le fait que tardivement, et après avoir repris des études de physique, alors même que le concept remonte, lui, aux années 20. Quant à la relativité, Robert Heinlein n'apparaît pas plus avisé que ses pairs, puisqu'il en fait une interprétation erronée dans “L'âge des étoiles”. Encore une fois, ce sont les images, voire les métaphores, qui prennent le pas sur les concepts eux-mêmes.
Joseph Kouneiher rappelle toutefois que l'accession à la théorie se fait de toute façon “par des images” et qu'ainsi les auteurs de SF, s'ils se trompent, peuvent aider les lecteurs à faire le premier pas. Les deux paraboles des “jumeaux de Langevin”, qui ne vieillissent pas à la même vitesse, et du “chat de Schrödinger”, ni mort ni vivant, ont effectivement fait le lait de la science-fiction de l'âge d'or.
La science-fiction peut aussi, durant le même siècle, accorder de l'importance à des sciences qui se sont avérées, par la suite, ne pas en être. La parapsychologie, par exemple. Lorsque Heinlein écrit “L'âge des étoiles”, la télépathie est considérée comme une science nouvelle qui intéresse non seulement le monde de la recherche, mais aussi celui de la politique internationale.
Simon Bréan va plus loin en se demandant si, finalement, il est nécessaire qu'une révolution scientifique soit vraie, réelle, pour que les auteurs de SF se l'approprient. Après tout, ne peuvent-ils pas créer leurs propres révolutions scientifiques pour fonder leur récit ? Roland C. Wagner abonde dans son sens en expliquant qu'il est toujours possible d'utiliser dans des récits de science-fiction, “même très récents”, des sciences reconnues comme fausses, en faisant usage des schémas narratifs alternatifs, tels que l'uchronie ou les univers parallèles. D'autant plus que “l'explication scientifique compte toujours moins que l'utilisation dramatique qui en est faite par l'auteur”, sauf, peut-être, lorsque ce dernier ambitionne, en s'appuyant sur une formation solide en sciences exactes, d'écrire ce que les anglo-saxons appellent de la “hard science”.
Après une synthèse des débats présentée par Sylvie Bérard, et le dîner, pris en commun dans le grand réfectoire dont les baies offrent une vue plongeante sur la vallée, la première séance du ciné-club, méticuleusement préparée par l'angliciste Daniel Tron, se concentre sur le film “DESTINATION MOON”, réalisé par George Pal, en 1950, sur le scénario duquel Robert A. Heinlein a travaillé en étroite collaboration avec Irving Pichel, dans un esprit très clair : faire un authentique film de science-fiction, tout en restant au plus près du réalisme scientifique et technologique. S'il n'aura pas connu un très grand succès médiatique, le film marque incontestablement une date-clef dans l'histoire de la science-fiction.
Vendredi 18 mai 2007
La première session thématique de la journée est consacrée, sous la modération avisée de Bernard Convert, à la manière dont la science-fiction est susceptible de “créer un désir de science” chez les jeunes lecteurs.
Bernard Convert présente d'abord une intéressante analyse sociologique de la manière dont la science-fiction est perçue par le lectorat spécifique constitué par les adolescents et les “jeunes adultes”. Il apparaît ainsi que les garçons lisent plus de science-fiction que les filles, qui lui préfèrent souvent la “fantasy” pure. Puis l'accent est mis, naturellement, sur l'importance des “juvenile” dans l'oeuvre de Robert A. Henlein. Destinés essentiellement à un public de jeunes garçons épris d'aventure et de connaissance, il s'avère toutefois qu'un certain nombre de titres tels que “Podkayne, fille de Mars” mettent délibérément en scène des soeurs, petites ou grandes, bien plus dégourdies que leurs frères aventureux. Le caractère “pédagogique” de ces récits, s'il reste inféodé aux exigences de la narration elle-même, fait partie intégrante de la démarche de Robert A. Heinlein. Ses rapports avec son éditeur jeunesse, Scribner, sont particulièrement révélateurs sur ce point. Une étude approfondie de sa correspondance avec Alice Dalgliesh, sa directrice de collection jusqu'au refus qu'elle lui oppose pour “Starship Troopers”, jugé trop violent, pourrait donner des résultats très intéressants.
Roland C. Wagner prolonge la question en évoquant la politique éditoriale de John W. Campbell lorsque celui-ci prend la direction de “Astounding”, l'un des plus importantes revues (“pulps”) de l'époque. L'éditeur, qui marquera en profondeur l'évolution de la science-fiction américaine, accorde en effet beaucoup d'importance à “la charge scientifique des textes” qu'il publie. Tous les grands auteurs font leurs premières armes dans Astounding et, bon gré mal gré, subissent son influence : Clifford Simak, Isaac Asimov, Alfred E. Van Vogt, etc. John Campbell allait même jusqu'à suggérer des idées à ses auteurs, puis veillait à ce qu'ils en exploitent au mieux les développements. Ainsi, la question de l'arme ultime, notamment la bombe atomique, fut traitée, avec un certain réalisme, dans un texte d'Astounding, ce qui valu à John Campbell une visite du F.B.I. Incontestablement, les années Campbell ont donné à la SF américaine cette facture de “pertinence scientifique” fondée sur les recherches préalables et l'acuité des auteurs face aux dernières théories scientifiques.
La réaction à cette orientation sera, dans les années soixantes, l'émergence de la “speculative-fiction”, bien plus centrée sur les sciences humaines.
La deuxième session thématique de la matinée se concentre sur “les techniques narratives de Heinlein” et sur leur caractère d'exemplarité en terme de communication scientifique. Modérée par Roger Bozzetto qui remplace Irène Langlet, n'ayant pu être présente, elle permet de revenir, en les prolongeant, sur certains éléments déjà évoqués la veille et en début de journée. En effet, les techniques narratives de la science-fiction sont d'autant plus cruciales lorsqu'il s'agit de s'adresser à un jeune lectorat.
Roland C. Wagner rappelle que, dans ses “juvenile”, Robert A. Heinlein est toujours au plus près de “la ligne claire”, adoptant une écriture simple, aisée et didactique sans jamais être ennuyeux ou superficiel. Il veut “accompagner” son jeune public, dont il a d'ailleurs une très haute conception, éventuellement supérieure à celle qu'il se fait de la plupart des adultes. Pour lui, les adolescents sont plus aptes à appréhender la science moderne que leurs parents. Aller dans l'espace, c'est pour eux non seulement normal, mais logique. C'est dans cet esprit là qu'il livre “The Rolling Stones”. Robert Heinlein met en place une véritable propédeutique de l'espace dans les esprits et se sert de la SF comme d'un outil de communication. D'ailleurs, nombreux seront “les ingénieurs et les astronautes de la NASA a se confesser lecteurs assidus de Heinlein dans leur plus jeune âge”.
Robert Heinlein va acquérir, parmi d'autres auteurs, sa maturité en se créant sa propre “boîte à outils” narratifs, dont la mise en oeuvre lui permet notamment de remporter quatre prix “Hugo”, dont le premier, en 1956, avec “Double Etoile”.
Eric Picholle rappelle que la culture littéraire de Robert Heinlein, dès son plus jeune âge, repose sur “la conjonction de la science et de l'aventure humaine”. Ses deux auteurs préférés ont en effet été Charles Darwin, d'une part, pour “L'origine des espèces”, et Rudyard Kipling, d'autre part, notamment pour “Kim”, roman initiatique auquel il rendra hommage dans son “Citoyen de la Galaxie”.
L'acquisition des techniques narratives est aussi, rappelle Claude Ecken, la conséquence de “la capacité rémunératrice de la science-fiction” : lorsque Robert Heinlein comprend qu'il peut gagner sa vie avec l'écriture, il “abandonne l'idée de trouver un travail honnête”, le paraphrase Eric Picholle. Roland C. Wagner fait remarquer que Heinlein envoie ses textes à Astounding parce que c'est la revue qui paye le mieux.
D'emblée, Heinlein a été convaincu de la nécessité de forger une “confraternité” des auteurs de science-fiction, comme le prouve la création de la “Manana Literary Society”, bien antérieure à l'apparition de la célèbre “Science-Fiction Writers of America”. Par ailleurs, en partageant ses techniques narratives avec les auteurs de SF américains, il contribue à ce que tous puissent gagner leur vie correctement. Il facilite ainsi la publication de textes de SF rémunérateurs, en conquérant de nouveaux supports, les “slicks” comme le New-York Times, et veut aider le jeune auteur qu'est, à l'époque, Philip K. Dick, à s'acheter une machine à écrire.
Après la pause déjeuner, l'après-midi s'ouvre sur une longue session au sujet très large, qui constitue en quelque sorte le pendant de celle de la veille : “la science-fiction constitue-t-elle une expérience de pensée pour les sciences humaines et politiques ?”.
Modérée par Roland C. Wagner, le débat évolue rapidement vers la place de l'histoire, science humaine par excellence, dans la science-fiction de Robert A. Heinlein. S'il n'a jamais écrit d'uchronie, il apparaît très clairement, qu'à l'égal, sinon plus, de la physique et de l'astronomie, l'histoire informe les textes (ou les cycles) majeurs de l'auteur. Ainsi, “l'Histoire du Futur”, ou “Révolte sur la Lune”, s'inspirent-ils très largement de l'histoire politique des Etats-Unis, depuis la fondation des colonies jusqu'à la guerre de Sécession, en passant par la conquête de l'indépendance.
La discussion s'ouvre ensuite sur le parcours politique de Robert Heinlein, ponctué d'engagements sans réserve et d'échecs retentissants. Son activisme, qu'il partage avec son épouse, Leslyn, dans les années 1930, au sein du mouvement E.P.I.C., “End Poverty in California”, lancé par l'écrivain et journaliste, Upton Sinclair est d'abord évoqué et le lien est opéré avec son premier roman, publié à titre posthume, “For Us the Living”. Le texte est symptomatique de la force des engagements mais aussi du manque évident de maîtrise des techniques narratives. Le roman se révèle être un manifeste politique à peine masqué, pratiquement illisible en tant que fiction, pâle copie du “Looking Backward” d'Edward Bellamy. Le débat se poursuit sur un point plus prégnant dans l'histoire personnelle de Robert A. Heinlein : la mise au point de la Bombe A, à Los Alamos, et son utilisation à Hiroshima, qui constituent, à ses yeux, “le fait politique majeur du XXe siècle” et change absolument tout. Le sort de l'humanité est en jeu, et Robert Heinlein, abandonnant un temps la fiction, s'engage avec des prises de position très fermes qui, pourtant, ne seront guère suivies d'effets.
Le débat glisse ensuite vers le rêve de la langue parfaite qui a intéressé de nombreux auteurs tels que Samuel Delany, avec “Babel 17”, ou Jack Vance, avec “les Langages de Pao”. La Sémantique Générale de Korsbinsky exerce par ailleurs, une fascination sur la plupart des auteurs contemporains, Robert A. Heinlein et Ron L. Hubbard en tête ; mais tout deux en font un usage très différent. L'oeuvre de Heinlein pose donc la question des “pseudo-sciences”, ou comme le dit Roland C. Wagner, des “sciences non confirmées”, qu'il ne faut pas confondre avec les “sciences imaginaires” : l'auteur de la science imaginaire, comme la “psycho-histoire” d'Isaac Asimov, n'oblige personne à y croire, sinon le temps de la “suspension d'incrédulité” qui s'opère durant la lecture du récit de SF, alors que l'auteur d'une pseudo-science, peut être tenté de faire oeuvre de prosélytisme, ce qui peut aboutir, dans le cas de Ron L. Hubbard, auteur de “Terre, champ de bataille”, à la naissance de l'Eglise de Scientologie, quittant ainsi le cadre de la SF, par définition, non sectaire.
La soirée est consacrée à un grand banquet et à une seconde séance de ciné-club, centrée sur “Starship Troopers”.
Samedi 19 mai 2007
La dernière session thématique des premières journées interdisciplinaires “Sciences & Fictions” de Peyresq est modérée par Claude Ecken et se concentre sur la notion de “Hard-SF : scientisme, rationalisme ou humanisme?”.
Claude Ecken présente d'abord une longue synthèse sur les concepts contenus dans le titre de la session et sur l'historicité de la notion de “hard-SF”.
Le débat s'ouvre le paradoxe entre “l'humanisme” revendiqué de Robert Heinlein et l'accusation de “fascisme” qui a été portée à son endroit par toute une partie de l'intelligensia de la science-fiction française dans les années 1970. Une discussion animée se forme, sans grande surprise, sur l'interprétation de “Starship Troopers”, roman le plus polémique, et peut-être le plus polysémique, de Robert Heinlein et, notamment, à l'initiative de Jean-Luc Gautero, sur la signification réelle de sa dédicace, “à tous les sergents...”. Le contexte de l'écriture de “Starship Troopers” est rappelé : Robert Heinlein s'interrompt dans l'écriture de “Stranger in a Strange Land” en 1959, pour écrire ce récit de guerre future, qu'il espère bien qu'Alice Dalgliesh lui refusera, ce qui lui permettra de quitter Scribner sans revenir sur sa parole donnée. Or, ce roman a été mal perçu par le lectorat français qui y a vu une apologie de l'engagement américain au Viet-Nam. La méprise est de taille : le roman a été écrit avant le Viet-Nam et se présente de façon très classique en SF comme un avertissement. Il n'est, l'affirme Eric Picholle, rejoint par plusieurs intervenants, en aucun cas “une dénonciation et encore moins une apologie” du Viet-Nam.
Le débat se concentre ensuite sur le clonage, Claude Ecken faisant référence à Dolly et au film “Alien IV : The resurrection”, en présentant l'idée que la réalisation du clonage est venue bien plus tôt que cela n'avait été imaginé par les auteurs de science-fiction. Des questions plus juridiques sont alors évoquées, lorsqu'Anouk Arnal regrette que les débats du comité d'éthique sur le clonage n'aient pas du tout été “informés” par les avancées de la SF, les hypothèses formulées par les auteurs, etc. Le niveau de réflexion des sages remontait, selon Anouk Arnal et Roland C. Wagner, aux années 30, au “Meilleur des Mondes” de Huxley. Katarina Roubier rappelle cependant que la thématique du clonage en science-fiction, à l'inverse, ne tient pas suffisamment compte de l'historicité de la réflexion juridique au sujet de la notion de “filiation” en France. Ugo Bellagamba précise que le droit accompagne les choix politiques de la société, les traduit en actes législatifs, en posant la limite de ce qui est possible et ce qui ne l'est pas : le choix politique, toujours contingent, n'est pas la même chose que la réflexion philosophique, fut-elle récréative, sur la notion de clone que met en scène la science-fiction, notamment américaine.
Un résultat s'impose alors : la science-fiction apparaît donc plus utile pour le citoyen que pour le législateur. Daniel Tron évoque les blocages, les tabous de nos sociétés par rapport à l'eugénisme, extrêmement lié à l'expérience nazie. Roger Bozzetto met l'accent sur l'éducation : “le clone d'un humain est d'abord un bébé qui doit être éduqué”. Ugo Bellagamba évoque “Ces garçons qui venaient du Brésil”, de Ira Levin, où, précisément, tout se joue sur l'éducation des clones, qui ne peuvent devenir Hitler, du simple fait qu'ils portent ses gènes.
La matinée se termine par une présentation conjointe de Jean-Luc Beaumont et Jean-Louis Trudel sur le bilan et les perspectives de ces premières journées S&F de Peyresq et l'unanimité se fait rapidement sur le désir de voir mises en place de nouvelles journées S&F, tout en accentuant sur la nécessité que les débats menés puissent être validés par une publication, notamment utile pour tous les doctorants. Des Actes sont programmés, qui se concentreront sur la synthèse des interventions et sur une série de documents demandés à chaque modérateur.
L'après-midi est libre et chacun peut, durant quelques heures encore, profiter du caractère exceptionnel du cadre offert par Peyresq, avant de repartir. Un don de plusieurs ouvrages de science-fiction, écrits par les auteurs présents, ou textes majeurs de Robert A. Heinlein, est fait, par l'Institut Robert Hooke à la bibliothèque de la maison Gassendi.
Benjamin Fondane et le théâtre
Relecture d'Ulysse
Organisation : |
Société d'étude Benjamin Fondane (France et Israël) |
Coordinateur : |
Monique Jutrin |
Dates : |
20 au 29 août 2007 |
Internet : |
www.fondane.org |
Publication : |
Cahier Benjamin Fondane numéro 11 |
Participants : |
Bruce Baugh (Ca), Eric de Lussy, Willy Estersohn (B), Michaël Finkenthal (IL), Eric Freedman, Claire Gruson, David Gullentops (B), Dominique Guedj, Monique et Isi Jutrin (IL), Till Kuhnle (Al), Hélène Lenz, Mircea Martin (Ro), Evelyne Namenwirth (B), Carmen Oszy (IL), Luisa Palanciuc, Geneviève Piron (CH), Mihai Sora (Ro), Margaret et Serge Teboul, Ann van Sevenant (B), Maria Villela, Lucy et Isi Zultak |
Compte rendu :
Ce colloque est le septième que la Société Benjamin Fondane organise à Peyresq.
Benjamin Fondane et le théâtre : il s'agissait de faire le point sur la place qu'occupe le théâtre dans l'œuvre de Fondane. Les principaux points que nous avons étudiés :
• Exploration de l'œuvre dramatique : Le Reniement de Pierre, Le Festin de Balthazar, Philoctète, Le Puits de Maule.
• Commentaire des textes critiques consacrés au theâtre. Traduction de textes roumains publiés dans les revues ou dans les programmes de Insula.
• L'impact du théâtre de Gide et de Claudel.
• Activités théâtrales de Fondane, de sa sœur Line et d'Armand Pascal. Liens avec des acteurs ou des metteurs en scène. Ce domaine, qui n'avait pas été abordé de manière approfondie jusqu'ici, s'est révélé très riche. Une soirée fut consacrée à la lecture d'extraits du Puits de Maule, pièce inédite.
Relecture d'Ulysse : à l'occasion de la publication d'une nouvelle édition du Mal des fantômes chez Verdier, nous nous sommes livrés à une relecture du poème Ulysse. Nous avons examiné successivement la genèse, la réception, les figures mythiques et les matrices bibliques, l'arrière-pays philosophique, les réminiscences littéraires. Là aussi des découvertes importantes ont été faites grâce à l'étude des manuscrits.