- Chap. III -
Eléments pour la valorisation de la
châtaigneraie
« Le terroir [
] serait
davantage une portion de territoire de l'espace rural,
dans lequel les hommes cherchent à
résoudre un problème
de mise en valeur du territoire et à
élaborer,
à partir des ressources renouvelables
une production particulière. »
Lucie Dupré (2002 : 310)
-
- Le caractère nourricier et vivrier de la
châtaigne en milieu rural laisse penser qu'elle n'est
consommée que dans le cadre d'une économie de
subsistance. Elle est souvent relayée à un espace
confiné et replié sur lui-même. Longtemps,
elle a été victime d'une image de pauvreté et
de disette.
- La réorganisation de l'espace rural a fait ressortir de
nouvelles logiques qui conduisent vers une autre «
économie de l'arbre ». Les producteurs se tournent
vers des châtaignes de meilleure qualité : « de
nourriture banale, elles sont promues au rang de dessert »
(Dupré, 2002 : 73). L'agriculture se transforme ; il s'y
mêle une « construction sociale de la qualité
» (Allaire et Boyer, 1995).
- Ce phénomène s'accompagne d'un nouvel
investissement du patrimoine qui dépasse largement la
sphère gastronomique (paysage,
biodiversité
).
-
- Dans un premier temps, nous nous attacherons aux moyens de
valoriser les châtaignes récoltées. Puis, nous
regarderons les éléments de promotion autour de
cette culture.
-
- Pour ce chapitre, correspondant à la deuxième
action de la châtaigneraie de la Charte forestière,
la même méthodologie que précédemment a
été appliquée, à savoir entretiens,
observation, lectures.
-
- Il s'offre comme une introduction aux pistes
éventuelles de valorisation. Il n'est qu'un
préalable à tout ce qui pourra être fait
après le travail de rénovation et est donc loin
d'être exhaustif.
-
- 1. Pistes de valorisation
des châtaignes récoltées
Une fois récoltées, les châtaignes sont
triées puis consommées par la famille, entre amis ou
vendues. Traditionnellement, les châtaignes se mangent
grillées ou bouillies mais elles font aussi l'objet de
préparations plus élaborées.
- En fonction des qualités agronomiques et gustatives des
châtaignes, une partie est destinée à la
transformation.. La transformation est une phase décisive.
Elle permet au producteur de valoriser ses fruits et de vendre un
produit ayant acquis une plus-value.
- Une gamme de produits diversifiés sort sur les
marchés. « Le secret du développement, c'est
l'évitement de la concurrence » (Pecquer, 2004), et
les producteurs l'ont très bien saisi puisqu'il existe de
nombreux produits transformés : le confisage, le marron
entier en conserve, le marron épluché
congelé, les crèmes et purées, les
châtaignes sèches et la farine
1.1 Transformation des châtaignes
fraîches
- Les variétés de petit calibre (plus de 100
fruits / kg), sélectionnées pour leur qualité
gustative, leur productivité et leur facilité
d'épluchage sont vouées à la transformation.
Il peut s'agir d'une transformation industrielle ou
artisanale.
- Plusieurs procédés existent, mais nous allons en
présenter deux : la transformation artisanale à
partir de fruits cuits pressés (1) et à partir de
fruits frais épluchés (2).
- Cas n°1, le choix de Nadine Allione dans les Maures. Le
procédé est simple et demande un plus faible
investissement, il comprend :
- la cuisson des fruits,
- le passage des châtaignes entières dans la
presse. En bas, sort la purée. En haut, restent les
déchets (peaux, tan) qui seront jetés.
- Transformation / cuisson / centrifugeuse : ajout des
ingrédients nécessaires pour obtenir le produit de
son choix (crèmes, confitures de châtaignes aux noix,
avec des morceaux
),
- mise en pot - pasteurisation ou
stérilisation
- La presse permet de passer 40 kg de châtaignes bouillies
par heure.
- Selon la quantité de châtaignes
récoltées, elle peut choisir de congeler sa
purée dans des sacs de 2 kg. La congélation lui
permet de connaître exactement sa production et de
transformer ses châtaignes selon ses
disponibilités.
- Cas n°2, le choix de Chantal Schmid et Walter dans les
Maures ou de la SARL Verfeuille à Génolhac (Gard).
L'épluchage est réalisé sur des fruits frais
de calibres similaires. Il se déroule en plusieurs
étapes ; la chaîne comprend :
- Four(s) de type « Aubert » : les
châtaignes passent dans un cylindre chauffé au gaz
à 800° ou 900° C pendant 30 à 50 secondes
(la châtaigne doit rester crue) : l'amande se
rétracte dans la coque et perd son adhérence
à la paroi, le péricarpe éclate et le tan se
décolle
- La châtaigne tombe dans un batteur avec des pales
en caoutchouc qui sépare le fruit des peaux
- Passage dans un échaudeur (eau à
70°)
- Passage dans la parmentière qui assure la
finition des fruits
- Tri : tapis de tri manuel (la SARL Verfeuille
possède aussi une trieuse optique)
-
- Une fois épluchée, diverses transformations sont
possibles. L'avantage est de pouvoir produire des marrons entiers,
plus recherchés sur le marché. Les châtaignes
peuvent être congelées et transformées plus
tard.
- Chantal Schimd possède un petit atelier où elle
ne transforme que sa propre production (moyenne de 3,5 t. sur 5
hectares) et ne souhaite pas s'agrandir. Quant à
l'entreprise Verfeuille, elle a transformé 170 tonnes de
châtaignes en 2003, dont la moitié passent en
prestation de services.
- Le service des douanes impose des règles strictes pour
les ateliers de transformation auxquelles sont soumis les «
petits » propriétaires comme les entreprises. Plus
légères dans un petit atelier, les normes
comprennent un sol en carrelage, pas de bois, des angles arrondis,
du matériel en inox, deux sorties
Avant de monter son
atelier, il est important de se renseigner sur toutes les normes
en cours.
-
- 1.2 Transformation des châtaignes
sèches
- Un autre mode de transformation est le produit sec. Il permet
de conserver plus longtemps les châtaignes qui peuvent se
consommer toute l'année sous forme de châtaignes
sèches entières, de brisures ou de farine. Le
procédé comprend :
- Le séchage des châtaignes : clède
ou séchoir au gaz (permet de ne pas avoir le goût de
fumée),
- le dépiquage : il s'agit d'enlever la peau des
châtaignes en les passant dans un cylindre comprenant
à l'intérieur un axe avec des marteaux,
- le tri (manuel, optique),
- soit passage à la mouture pour faire de la
farine, soit on garde les châtaignons et les brisures,
- Conservation, stockage
- La farine de châtaigne est une tradition avant tout
corse. Les personnes curieuses de découvrir ce produit ne
savent pas forcément comment le cuisiner. Par
commodité il est préférable de joindre un
livret de recettes lors de la vente d'un paquet de farine.
- Sur le massif d'Annot, le moulin des Scaffarels souhaite
s'équiper pour faire de la farine de châtaignes.
Encore à l'état de projet, cette idée est
développée dans le chapitre suivant (Chap IV) visant
les perspectives de développement de la châtaigneraie
du massif d'Annot.
1.3 Commercialisation des châtaignes
- La commercialisation des châtaignes est qualifiée
de « peu organisée », car les groupements de
producteurs n'assurent qu'une très faible proportion des
ventes, en grande partie réalisées par des
négociants privés ou les producteurs. Son
intérêt commercial n'en reste pas moins important. D'
« objet personnalisé » (Livet et Thévenot
1994), c'est-à-dire singulier à un lieu et à
une personne, la châtaigne devient un « objet marchand
» destiné à circuler dans l'espace
économique.
- Les critères d'éligibilité des fruits
dans la vente sont : la taille, la couleur, la forme, la
pilosité, le cloisonnement de l'amande et le
goût.
- Avec une production de 500 000 tonnes à la fin du
XIX° siècle et de 15 600 tonnes en 1983, la production
française, en baisse continue, avoisine les 11 000 tonnes
en 1993. La vente se répartie en :
- 63 % des châtaignes sont vendues en frais
(17),
- 27 % sont destinées à l'industrie des
crèmes et purées,
- 10 % partent dans l'industrie du marron en conserve et
dans la production artisanale.
- Le prix de la vente en frais, pour un producteur, varie en
fonction de la variété (marron ou châtaigne),
de la qualité et du calibre : de 1,5 euro/kg à 8
euro/kg. Les prix sur les marchés sont nettement
supérieurs.
- La vente est confrontée à trois handicaps : la
châtaigne est un fruit saisonnier qui nécessite
d'être trié, épluché et cuit, qui est
soumis la concurrence étrangère, et qui est souvent
mal connu des consommateurs et des revendeurs.
- La plupart du temps, la commercialisation est assurée
à travers des circuits très courts (avec le moins
d'intermédiaire possible) : marchés à
thèmes, marchés hebdomadaires en saison, petites
épiceries fines, le négociant, la fête de la
châtaigne, les coopératives, des stands dans les
grandes surfaces, à la ferme, etc
2. Promouvoir la culture des
châtaignes
Depuis une dizaine d'année, on observe un mouvement de
relance visant à valoriser économiquement et
culturellement la production de châtaignes, tout en la
rendant davantage visible pour le consommateur.
2.1 La fête de la châtaigne
de Le
Fugeret
- Des fêtes de la châtaigne s'organisent dans les
différents départements producteurs de
châtaignes (le Var, en Ardèche, en Dordogne
les
Alpes de Haute Provence).
- Depuis 2001, une fête de la châtaigne (18)
s'est mise en place à Le Fugeret. Un réseau d'acteur
s'est mobilisé pour son organisation qui a
nécessité l'implication du comité des
fêtes de Le Fugeret et l'appui de la commune de Le Fugeret,
de GROUPAMA, du CRPF, du Conseil Général, du SIVOM
d'Annot et de la Chambre d'Agriculture des Alpes de
Haute-Provence.
- Se déroulant le premier week-end de novembre, elle est
attendue chaque année avec beaucoup d'enthousiasme et
d'incertitudes : y aura t-il des châtaignes ? Fera t-il beau
(l'année 2003 s'est passée sous la neige !) ?
Combien de personnes vont se déplacer ?
- L'activité y est extrêmement visible. La
fête de la châtaigne permet d'assurer la vente de
châtaignes fraîches, grillées ou
transformées. Elle est aussi l'occasion de faire
découvrir cette culture ancienne sur le canton. Elle
conjugue le respect de la tradition (récolte à la
main, consommation grillées autour d'un feu
) et
modernité (innovation par la diversification des produits,
démonstration de récolte à l'aide d'un
aspirateur à châtaignes
).
L'intérêt paysager et touristique de la
châtaigneraie s'affirme à l'occasion de ballades, des
récoltes, des explications sur les arbres
pluri-centenaires.
-
- Derrière se cache quelques problèmes de fond
:
- Des vendeurs ne sont pas déclarés
- une certaine incertitude pour assurer la qualité
du produit (pas de professionnel, pas de règles
établies)
et la détermination des prix
-
- Pour autant, la fête de la châtaigne prouve qu'une
dynamique s'est installée pour redonner un caractère
paysager, touristique et de production à la
châtaigneraie du canton d'Annot. Elle a enclenché un
mouvement assurant à la fois la reconnaissance et
l'appropriation d'une culture, et la mise en valeur et la
valorisation économique des châtaignes.
-
- 2.2 Diversification des activités : tourisme et
éducation
-
Photo 15. Repos sous châtaignier,
Ardèche (CF- 2004)
-
- Dans le but de promouvoir la culture des châtaigniers et
d'en vivre, les agriculteurs se tournent vers la
pluri-activité. En association avec la châtaigneraie,
ils développement des activités touristiques et
éducatives. Les vergers « s'expérimentent
» à travers la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat,
le goût.
- La référence à la tradition permet de
mettre en avant la ressource (lieu de production,
variété, techniques culturales
) et de
construire un objet traditionnel qui préfigure l'avenir. Et
Bruno Latour ajoute, « le paysan n'est pas resté
traditionnel : il l'est devenu en argumentant beaucoup »
(1991 : 103).
- Tradition, local et patrimoine alimentent la coordination des
ces actions de valorisation.
-
- Initiatives variées
- Laurent Sabatier (Ardèche) souhaite coupler son
activité castanéicole avec l'accueil du public. Pour
l'instant, il réfléchit à la mise en place
d'un système de découverte de la châtaigneraie
: techniques culturales, arbres pluri-centenaires, cabanes de jeu
dans le tronc creux des châtaigniers, mise en avant du
travail de rénovation (photographies), etc
Pour
accueillir les personnes sur de longs séjours, il va
prochainement rénover un bâtiment et le transformer
en gîte.
- Michel et Martine Grange (Ardèche) ont
décidé de recevoir des groupes
épisodiquement. Ils ont investi dans une grande salle
permettant la dégustation des produits issus de leur
atelier de transformation. Diverses activités autour de la
châtaigneraie pourront être proposées
(démonstration greffe, visite des parcelles
).
- Nadine Allione (Massif des Maures) souhaite peut-être
développer une activité en partenariat avec les
écoles. Elle proposerait des visites de la
châtaigneraie et de son atelier de transformation.
- M. Hugon, maire de Saint Privas de Vallongue (Lozère),
a axé une des politiques de développement
touristique de son village notamment sur la construction d'un
village vacances français (VVF) sur une châtaigneraie
traditionnelle.
- Alliant découverte d'un terroir et d'une culture, la
population accueille généralement bien ces
volontés.
2.3 L'appellation d'origine contrôlée (AOC) ou
le label
- Pour promouvoir leurs châtaignes, différentes
régions s'appuient sur des stratégies de marketing,
basées sur l'opinion « dans laquelle la valeur est une
notoriété et dont le support n'est pas un bien
appropriable mais un signe reconnaissable » (Thévenot,
1995 : 43). C'est le cas de l'Ardèche qui met en place sa
propre AOC « châtaignes d'Ardéche » ou
encore de producteurs qui se sont réunis sous la marque
commune « goûtez l'Ardèche ». Ce sont des
démarches lourdes et contraignantes mais qui permettent de
garantir de l'origine et de la qualité des produits.
-
- De nombreuses possibilités s'offrent aux personnes
désirant valoriser leur production.
- En ce qui concerne la mise en place d'un atelier de
transformation sur le canton, cela viendra progressivement. Pour
le moment, les personnes peuvent se mettre en contact avec des
agriculteurs exerçant déjà une
activité de transformation. La question de
l'approvisionnement du Moulin des Scaffarels est
étudiée dans le chapitre suivant.
- Sinon, les conditions actuelles se prêtent
déjà à la promotion du terroir et à la
valorisation touristique.
- Pour autant, l'intérêt économique de
valorisation est indéniable. Comme le rappel la directrice
de l'AFREC, « il n'y aurait pas une carotte au bout, les gens
n'accepteraient pas de se baisser ». Il faut aussi savoir
anticiper demain, d'où l'importance de ce chapitre sur la
transformation et la valorisation des châtaignes.
- Ces deux chapitres répondaient à une commande
technique précise. Nous allons désormais envisager
des perspectives de développement de l'action
châtaignes sur le massif d'Annot.
-
(17) Les châtaignes fraîches, avant
d'être vendues sont triées et calibrées. En
Ardèche, les producteurs adoptent des techniques de
trempage comme procédé de conservation. En fait, le
trempage, suivi d'un bon séchage, permet d'éliminer
les châtaignes véreuses ou limiter l'apparition des
symptômes de pourriture.
- (18) Annexe 8