Introduction

« Par où vas-tu commencer ? »

… une ancienne maxime taoïste dit :

« Un voyage de mille lieues commence par un seul pas. »

 
Cultivés depuis des générations, les vergers de châtaigniers n'échappent pas aux conséquences de l'exode rural auxquelles viennent s'ajouter les guerres, les maladies, la mécanisation de l'agriculture, les modifications des modes alimentaires. L'abandon des terres entraîne l'extension de la forêt, notamment des ligneux. Les paysages se ferment. Les risques d'incendie se multiplient. Si les vergers se sont dégradés, l'engouement des propriétaires reste entier et ils se mobilisent pour la sauver.
Ainsi, l'Ardèche a été le premier département français à lancer des programmes de rénovations dans les années 1975, 1976. Différents travaux d'expérimentations ont été menés sur les maladies ou les techniques de tailles. De nos jours, largement abandonnée et dans un état sanitaire critique, la châtaigneraie du massif d'Annot entre dans une phase de rénovation. Cela n'aurait pu se faire sans une vision différente du développement territorial.
 
Dans le prolongement du rapport Bianco (1998) « La forêt, une chance pour la France », la loi forestière de juillet 2001 intègre d'avantage la forêt dans les programmes de développement territorial, notamment par la mise en place de Chartes forestières de territoire :
« La forêt est notre patrimoine collectif. L'arbre n'est pas un don éternel de la nature ; il est le fruit de l'effort, le produit de nos savoirs et de nos techniques, notre héritage » (F. Mitterand en annexe du rapport Bianco, 1998 : 108).
La Charte forestière du massif d'Annot a été signée en janvier 2004 par une vingtaine de partenaires, élus, gestionnaires, utilisateurs de la forêt et financeurs. Elle est pilotée par le Pays Verdon, Vaïre, Var. Un de ses objectifs est de mettre en place une politique de gestion durable et multifonctionnelle de la forêt et des ressources forestières, qu'il s'agisse de la production, de la protection et de l'accueil du public.
 
Si la châtaigneraie permet de produire des fruits, elle présente aussi d'autres intérêts. Elle contribue à l'esthétique des paysages. Elle accueille un écosystème spécifique. Elle participe de façon efficace à la prévention des feux et forêts. Elle représente des intérêts patrimoniaux et touristiques. La châtaigneraie est donc incontestablement un instrument d'aménagement. Elle conjugue des objectifs de filière et de territoire. C'est pourquoi, parmi les actions engagées dans la Charte, deux concernent la châtaigneraie fruitière, à savoir sa rénovation et sa valorisation.
 
Pour tenter de la sauver, trois sites se sont regroupés en Association syndicale libre (ASL) : Méailles, le Fugeret et Braux. Un quatrième village se joint actuellement au projet : Castellet les Sausses qui monte aussi sa propre ASL.
 
Seulement, cette participation est mise à l'épreuve par l'entrée dans la phase active des actions de rénovation et de valorisation de la châtaigneraie. En partenariat avec la Chambre d'Agriculture des Alpes de Haute Provence, le Pays Verdon, Vaïre, Var a proposé un stage dont l'objectif est d'apporter des éléments sur le processus de rénovation et de valorisation de la châtaigneraie afin de répondre aux questions des propriétaires et d'appuyer les différents organismes techniques. Quelles techniques de rénovation permettent de remettre en état durablement une châtaigneraie délabrée ? Comment valoriser les châtaignes et la châtaigneraie ?
 
De ces questions en découlent d'autres : quelles maladies attaquent les châtaigniers et quels traitements donner ? Existent-ils différentes techniques de rénovation ? Quelles sont leurs effets ? Comment entretenir la châtaigneraie ? Quelles possibilités de groupements peuvent favoriser l'entretien, la récolte et la commercialisation des châtaignes ? Quelles alternatives peuvent compléter la vente de châtaignes fraîches ?
Pour répondre à ces interrogations, l'idée était d'apprendre des expériences des autres et éclairer ensuite, par ces apports, la mise en place du processus de rénovation et de valorisation sur le massif d'Annot.
C'est avant tout un travail exploratoire.
 
Dans un bref premier temps, nous exposerons la méthodologie utilisée pour répondre à la commande du stage.
Puis, nous appréhenderons la châtaigneraie comme enjeu territorial de façon globale (Chapitre I), à travers la mise en place de la Charte forestière et les éléments constitutifs de l'opération châtaignes. Nous entrerons ensuite dans les actions de rénovation (Chapitre II) et de valorisation (Chapitre III) à travers l'analyse des situations rencontrées dans les autres départements : nous donnerons ici de nombreux détails techniques. Enfin, ces analyses nous permettrons de tirer des conclusions plus générales quant aux perspectives de développement de la châtaigneraie de Braux, Méailles et Le Fugeret (Chapitre IV).
 
Il faut 12 ans pour faire pousser un châtaignier et il suffit de quelques minutes pour le détruire. Temps dominé, selon la formule d'Edgard Pisani, par « la pression du court terme hurlant », le long terme silencieux commence à se faire entendre…
 
 
Photo 1. Châtaignier, Castellet les Sausses (E. Tassone - 2004)
 
Méthodologie : les outils du travail exploratoire
Précisons d'abord qu'un sujet ne va pas de soi. C'est ce que Schumpeter appelle « l'acte pré-analityque de connaissance » ou Perroux « la représentation mère ». Pour Bourdieu, il convient de « prendre pour objet, l'étude de l'objet » (Rabinow, 1988 : 11). Quel discours est utilisé? Qui produit le texte ? Pour qui ? Quand ? Un savoir se construit, d'où l'importance de montrer la démarche utilisée.
 
Bibliographie
Dans une première étape, afin de collecter les informations demandées, a été effectué un travail bibliographique. En fonction des thèmes abordés, les lectures se sont tournées vers des ouvrages universitaires de la bibliothèque de l'Université Pierre Mendès France de Grenoble ou de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme d'Aix-en-Provence, ou vers des documents internes à l'antenne forêt du Pays Verdon, Vaïre, Var, au Centre régional de la propriété forestière (CRPF), à l'Office national des forêts (ONF), au Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL), ou à partir d'écrits prêtés par des castanéiculteurs, ou encore par des informations glanées sur internet.
 
Recensement d'expériences, entretiens
La deuxième étape a été la prise de contact avec les acteurs liés à la castanéiculture, sur place ou dans les départements voisins. Le but était de recenser un maximum d'expériences sur des travaux de rénovation et de valorisation de la châtaigneraie. Point crucial, c'est à partir de ce travail que s'est construit un réseau d'acteurs sensibles à la problématique châtaigneraie fruitière.
Afin d'approfondir les entretiens, de nombreux déplacements ont été programmés. Le terrain permet de rencontrer de nouveaux acteurs, d'écouter et de s'enrichir de nouvelles expériences mais surtout d'observer directement les résultats des opérations effectuées. En fait, l'observation occupe une place importante où trois savoirs-faire s'imbriquent avec force : percevoir, mémoriser et noter. Elle rend intelligible ce que des mots n'ont pas su décrire, surtout lors du traitement d'un sujet tel que la taille des arbres. Par souci de diversité, j'ai rencontré des personnes aux profils différents &endash; des producteurs, des transformateurs, des élus, des agents de coopératives, des techniciens du Syndicat inter-chambre montagne-élevage (SIME), de la Chambre d'agriculture d'Ardèche et du Parc des Cévennes, etc… En dehors du département, les déplacements ont eu lieu sur plusieurs sites : une semaine en Ardèche, deux journées sur le massif des Maures, une matinée à Isola (Alpes Maritimes) ; 21 témoignages ont été recensés.
Notamment, lors des déplacements, j'ai utilisé le support photographique afin de rendre les expériences plus sensibles lors des restitutions.
 
Questionnaire
Troisièmement, en vue de quantifier la production de châtaigne sur le massif d'Annot, a été réalisé un questionnaire (annexe 1). Après sa constitution, il a été validé par les deux maîtres de stage et les directeurs des Associations syndicales libres (ASL). Le questionnaire couvrait plus largement le domaine de la valorisation de la production, dans la perspective de la mise en place de différentes formes de valorisation (farine, crème de marrons…). En outre, une partie touchait la question de l'entretien des parcelles et de la récolte des châtaignes. Il a été envoyé à 71 adhérents.
 
Animation
Enfin, ma mission comprenait un volet animation qui s'est traduit par différentes interventions. Lors du premier comité de pilotage de la Charte forestière, où tous les signataires étaient invités, j'ai restitué l'état d'avancement du stage. A plusieurs reprises, j'ai mené des actions avec les agents de l'ONF, du CRPF et de la coopérative Provence Forêt. J'ai participé à une journée de diagnostic sur le pastoralisme sous la châtaigneraie de l'ASL de Le Fugeret.
La restitution orale de mon travail s'est faite en trois fois. La première présentation s'est déroulée devant le groupe de travail « châtaignes ». Ensuite, j'ai pris le parti d'organiser des réunions dans deux communes distinctes pour les ASL, afin de toucher un maximum de propriétaires.
En dernier lieu, en arrivant sur les lieux du stage, nous évoquions peut-être la possibilité d'organiser un voyage avec les participants de l'action châtaigne. Finalement, grâce à la constitution du réseau et mes déplacements, j'ai surtout contribué à l'organisation d'une journée de formation sur la châtaigneraie fruitière à destination des techniciens, donnée par Béatrice Ladrange, du SIME. Cette formation est apparue prioritaire pour répondre aux besoins urgents des techniciens avant tout porteur d'un savoir-faire forestier.